“A murder of crows” ? Les étranges noms pour les groupes d’animaux en anglais


Si vous vous intéressez à l’histoire et à la richesse de la langue anglaise, vous avez pu rencontrer des mots désignant des groupes d’animaux spécifiques. En plus de termes comme colony of rats ou flight of birds qui se retrouvent en français (colonie de rats, vol d’oiseaux), il y a par exemple murder of crows pour un groupe de corbeaux, ou sloth of bears pour un groupe d’ours. En tout, plus de 600 de ces termes collectifs insolites existent en anglais, souvent dédiés à un animal spécifique. Mais d’où vient un tel déploiement de vocabulaire ?


Le Livre de Saint-Alban

Si l’anglais est riche en termes collectifs pour les animaux, c’est en grande partie à cause du Livre de Saint-Alban. Publié en 1486 et connu aussi comme The Book of Hawking, Hunting and Blasing of Arms (le Livre de la Fauconnerie, de la Chasse et de la Héraldique), il a été une sorte de best-seller de son époque. Écrit au moins en partie par une religieuse du nom de Juliana Berners qu’on suppose issue de la noblesse, il s’agit d’une compilation d’articles à l’attention des gentilshommes. Ils pouvaient y découvrir le langage technique qu’il était de bon ton qu’ils maîtrisent en s’adonnant aux activités qui seyaient à leur rang. On y trouve, entre autres, les 162 collectifs suivants, écrits en moyen anglais.

Les collectifs pour les animaux dans le Livre de Saint-Alban

On peut par exemple y lire :

  • a mute of hounds, pour des chiens ;
  • a ſkulke of ffoxis (> a skulk of foxes en anglais moderne), pour des renards ;
  • a couert of coots (> a covert of coots), pour des foulques.

Certains termes collectifs, péjoratifs et tombés en désuétude, désignaient même des groupes humains :

  • a fightyng of beggers (> a fighting of beggars, soit un « combat » de mendiants) ;
  • a thretenyng of courteyeris (> a threatening of courtiers, une « menace » de courtiers) ;
  • a gagle of women (> a gaggle of women, un « caquètement » de femmes) ;
  • a noonpaciens of wyues (> an impatience of wives, une « impatience » d’épouses) ;
  • et même a suꝑfluyte of nunnys (> a superfluity of nuns, une « superfluité » de nonnes).

Comme quoi les créateurs de ce vocabulaire étaient loin de porter les femmes dans leur cœur autant que les mots.


Les origines perdues de la tradition

Le Livre de Saint-Alban relate en fait une tradition plus ancienne que lui. En effet, d’autres ouvrages de l’époque, les Books of Courtesy, étaient voués à faire découvrir ce curieux jargon aux jeunes aristocrates. Un document poétiquement nommé Rawlinson MS D 328 par les chercheurs, par exemple, remonte aux environs de 1430.

Quelques collectifs du début du 15e siècle
Je n’ai pas trouvé de transcription pour ce document mais on peut clairement lire a flyth of swalous en haut à droite ; d’où, probablement, a flight of swallows en anglais moderne (un vol d’hirondelles).

Un autre, écrit vers 1380, donne une telle liste de termes en anglo-normand (le français parlé en Angleterre après les conquêtes normandes) avec leurs traductions en moyen anglais. C’est apparemment le plus ancien document qui atteste de termes collectifs aussi spécifiques en anglais, mais on soupçonne qu’il était la copie d’un document encore antérieur ; difficile donc de dire quand et comment tout a commencé.

Quelques collectifs de la fin du 13e siècle
Cy orrez assemble de bestes
Un herde de cerfs : A herde of hertes
Un herde de deymes : A herde of bukkys
Un soundre de porks : A hep of swyn
*

→ On remarque ici que l’expression anglo-normande un soundre de porks, devenue a sounder of pigs en anglais moderne, a remplacé l’expression anglaise d’origine a hep of swyn, qui aurait peut-être donné a hep of swine(s) pour un groupe de cochons de nos jours. Quant à deymes/bukkys, ce sont des daims (> bucks).

Le Livre de Saint-Alban a néanmoins joué un grand rôle en faisant connaître cette tradition d’un plus grand nombre. Il fut d’ailleurs en quelque sorte victime de son succès : devenu la référence de tout chasseur et fauconnier qui se respecte et réédité à répétition à travers les siècles, il a fait passer ce curieux vocabulaire voulu élitiste dans un registre un peu plus courant.


Du Moyen Âge à nos jours

Il est probable que l’attitude du public vis-à-vis de ces termes peu utiles et un peu grotesques ait plus ou moins toujours été la même ; ils auront été accueillis avec curiosité, voire moquerie, et auront très peu été utilisés « au premier degré ». Cela aura néanmoins suffi pour que, cahin-caha, ils survivent jusqu’à nos jours et qu’on puisse encore se dire que oui, a business of ferrets (furets), c’est de l’anglais ! C’est même du français, parfois : en effet on a emprunté « murmuration », attesté en anglais du XVe siècle, pour ces très esthétiques nuages d’étourneaux en vol.

Avec le temps, ces collectifs se sont dispersés au sein de la langue, devenant plus ou moins courants, désuets ou spécialisés. Certains sont encore bien connus, comme pack (of wolves), school (of fish), ou encore litter, qu’on utilise aujourd’hui pour « une portée » (de chiots ou de louveteaux en général).

On parlait aussi de bike of bees jusqu’au 19e siècle, lorsque le mot bike s’est mis à être utilisé pour une nouvelle invention : la bicyclette (l’expression est encore d’usage en Écosse et dans le Nord de l’Angleterre). Certains ont longtemps disparu pour revenir tardivement dans l’usage, comme murder of crows, unkindness of ravens, ou encore parliament of owls qui est réapparu dans les livres d’ornithologie du 20e siècle.

School of fish est peut-être un des plus anciens : en vieil anglais déjà, le mot scolu existait pour désigner un banc de poisson. Il est d’origine différente du mot school désignant l’école, qui remonte au grec σχολή (skholḗ). Étymologiquement, on ne parle donc pas vraiment d’une « école de poissons ».


Les collectifs aujourd’hui

Les collectifs animaux ont longtemps gravité autour de la langue courante en tant que termes spécialisés ou littéraires. Or même chez les spécialistes, ils ne sont pas souvent usités. Ce qui les maintient surtout en vie de nos jours, c’est qu’on en parle souvent… pour dire que personne ne les utilise vraiment. Internet est rempli de vidéos et d’articles qui les listent (mais sans assez s’intéresser à leur histoire à mon avis !) et leur permet de garder leur place dans la culture populaire anglophone.

La tradition « d’ultranommage » des groupes d’animaux est toujours vivante, et de nouveaux termes sont régulièrement inventés avec plus ou moins de succès. C’est parfois vrai aussi pour les groupes humains : trouver un collectif pour désigner un groupe auquel on appartient, c’est une question d’identité et ça peut aller loin.

Il peut être difficile de distinguer les collectifs anciens de ceux qui ont été créés à l’époque d’Internet, et des contenus désinformatifs ou mal informés peuvent faire passer des inventions récentes pour des termes archaïques. Il y a en tout cas peu de chances qu’on soit pris au sérieux en parlant d’un shiver of sharks (un « frisson » de requins) ou d’un crash of rhinoceroses. Mais parfois, leur caractère parodique, voire artistique est plutôt évident, ce qui fait tout leur intérêt. Moi, je suis plutôt fan de lunacy of werewolves, le mot lunacy (qui est apparenté à « lunatique ») faisant référence au caractère des loups-garous en même temps qu’à la Lune. Et vous ?

Des termes collectifs inventés pour des créatures fantastiques
L’artiste David Malki s’est inspiré des collectifs anglais en créant ces termes humoristiques pour des créatures fictives.

Sources

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