Phonétique : qu’est-ce qu’un ton ?


Les tons sont essentiels dans de nombreuses langues asiatiques comme le chinois ou le vietnamien. Mais que sont-ils, fondamentalement parlant, d’un point de vue phonétique ?

ℹ️  Cet article fait partie d’une série que j’ai écrite pour initier à la phonétique et à l’alphabet phonétique international. Si vous ne comprenez pas certains concepts que j’aborde ici, consultez ce lien pour en trouver le sommaire ! 

Sommaire

  1. Intensité vs hauteur
  2. Accent vs ton
  3. Comment produire un ton
    1. Les tons chinois
  4. Les tons dans l’alphabet phonétique international
    1. Avec des diacritiques
    2. Avec des barres
    3. Avec des chiffres
  5. Conclusion
  6. Sources

1. Intensité vs hauteur

La prononciation d’une langue passe en grande partie par sa phonologie, c’est-à-dire l’agencement des sons et la manière qu’ils ont de convoyer l’information. La phonologie s’intéresse aux consonnes et aux voyelles, mais aussi aux éléments qui les affectent. Certains de ces éléments, dits suprasegmentaux, concernent notamment l’intensité et la hauteur.

Une syllabe réalisée avec plus d’intensité est plus forte : on donne plus de voix pour la produire. C’est ce qui se produit dans la plupart des langues avec un accent tonique, comme l’anglais ou l’espagnol. Dans ces langues, l’accent tonique est un accent d’intensité.

Ici, le mot espagnol “tener” (« avoir »), avec un accent d’intensité sur la deuxième syllabe.

Dans d’autres langues, l’accent tonique est un accent de hauteur. Ici, on parle de hauteur musicale : plus c’est haut, plus c’est aigu, et plus c’est bas, plus c’est grave.

Le mot serbo-croate “trgovina” (« magasin ») avec un accent de hauteur sur la seconde syllabe.

→ Voyez aussi mon article « Accent tonique et accent de hauteur : quelles différences ? ».

Les types d'accent tonique : l'accent d'intensité et l'accent de hauteur

L’intensité et la hauteur s’influencent mutuellement (une syllabe plus intense est souvent plus haute, et une syllabe plus haute généralement plus intense), mais chacune peut évoluer indépendamment l’une de l’autre. Cependant, la hauteur offre beaucoup plus de possibilités, et c’est ce qu’on va voir maintenant.


2. Accent vs ton

Quand on parle d’accent, qu’il s’agisse d’intensité ou de hauteur, on parle de quelque chose de fixe. Pour schématiser : si une syllabe non accentuée à une hauteur environ égale à 2 ou 3, alors une syllabe avec un accent de hauteur aura une hauteur environ égale à 4 ou 5.

Mais la hauteur a aussi la propriété de fluctuer dans une seule et même syllabe. Par exemple, une syllabe peut commencer avec une hauteur de 1 (grave), passer à 3 (plus aiguë), puis retomber à 1 (grave). Ce genre de modulation produit une variation musicale qu’on appelle un ton en phonétique.

On transcrit souvent la hauteur tonale avec des chiffres de 1 à 5, où 1 est le plus grave et 5 le plus aigu. Ils correspondent alors à des niveaux tonaux, que j’appellerai ici « pseudonotes » à défaut d’avoir trouvé un meilleur terme. On ne connaît aucune langue qui en distingue plus de 5.

Les langues à tons les plus connues sont les langues chinoises (par exemple le mandarin et le cantonais), les langues taï (qui comprennent le thaï et le lao), le vietnamien et le birman. La majorité des langues africaines subsahariennes sont également tonales.

Carte des langues à tons dans le monde
En rouge, les langues tonales dans le monde. En jaune, les langues avec un accent de hauteur. Cette carte omet entre autres certaines langues d’Amérique centrale et d’Inde, mais elle est globalement juste. Notez que l’anglais indien, contrairement aux autres superdialectes de l’anglais, a un accent de hauteur.

Un ton, comme un accent, concerne le noyau d’une syllabe. Dans la grande majorité des cas, ce noyau est simplement une voyelle, mais certaines consonnes dites syllabiques peuvent aussi hériter d’un ton (comme le /r/ en serbo-croate ou le /z/ en mandarin).

Les tons étant un système complexe d’accents modulés, ils offrent une grande diversité syllabique. En effet, la même syllabe peut hériter de tous les tons qui existent dans une langue donnée. C’est pour cela que les langues à tons ont souvent des syllabes simples et répétitives.


3. Comment produire un ton

J’en vois certains stresser à la vue du terme « variation musicale », mais pas de panique ! Vous n’avez nul besoin de connaître le solfège pour savoir produire un ton.

Un ton est une variation dite « relative » de la hauteur, c’est-à-dire que c’est la différence de hauteur produite par la fluctuation qui importe, et non la hauteur en elle-même. Celle-ci n’a donc pas à être musicalement juste. Ce qui compte, c’est de pouvoir produire des variations de hauteur distinctes d’un ton à un autre, et que celles-ci ne se mélangent pas.

Une voyelle tonale implique forcément qu’elle est plus longue que la normale¹. En effet, pour passer d’une pseudonote à une autre, il faut plus de temps que pour en produire une seule.

Pour vous donner une idée de la longueur des voyelles tonales, j’ai conçu ce petit tableau. Attention, il est basé sur une étude des voyelles longues en langue anglaise². Pour cette raison, il donne seulement un ordre d’idée.

Longueur approximative d'une voyelle avec un ton

Du fait qu’un ton peut se constituer de deux fois la même pseudonote (par exemple 55), la seule différence qu’un tel ton présente avec un accent de hauteur est la longueur. En effet, si vous avez tout suivi, un accent de hauteur peut être représenté par une seule pseudonote à peu près égale à 4 ou 5. Si on la double, ça fait un ton haut.

Les tons sont différents en fonction des langues. La hauteur d’un ton donné peut varier en fonction des mots, des sons environnants, et de la prosodie du reste de la phrase. On appelle ça le sandhi tonal et c’est quelque chose qu’il faut découvrir en fonction de la langue, lors de son apprentissage. Ci-dessous, je survole le chinois à titre d’exemple.


3.1 Les tons chinois

Les quatre tons du chinois mandarin sont les plus connus.

Les tons mandarins
Les quatre tons du chinois mandarin.

Transcrits à l’aide de chiffres, on remarquera que ces tons sont équivalents aux variations de hauteur suivantes :

  • Ton 1 : 5 → 5 ;
  • Ton 2 : 3 → 5 ;
  • Ton 3 : 2 → 1 → 4 ;
  • Ton 4 : 5 → 1.

Plus simplement, on les marquera 55, 35, 214 et 51.

Par exemple, la syllabe “ma” prononcée avec chacun des tons mandarins donnera ce résultat.

Ces prononciations correspondent respectivement à :

  • 媽 (mā), « maman » ;
  • 犘 (má), un animal légendaire ;
  • 溤 (mǎ), une rivière ;
  • 傌 (mà), une forme de châtiment ancien.

Attention, les tons du cantonais ne sont pas les mêmes. Il y en a six.

Les tons cantonais

En chiffres, ça donne : 55, 35, 33, 21, 23, 22. Ils ne sont toutefois pas aussi universels : par exemple, 35 peut devenir 25 et 21 peut devenir 11. Les locuteurs du cantonais eux-mêmes considèrent parfois que le fait de produire un ton pour un autre (le ton 3 pour le ton 5, notamment) ne constitue pas une erreur.


4. Les tons dans l’alphabet phonétique international

Il existe trois systèmes pour transcrire les tons en API.

Attention : la transcription des tons chinois ci-dessus n’était pas phonologique. Il s’agissait de pinyin, la romanisation standard du mandarin. Ci-dessous, j’ai mis une table de correspondance des tons mandarins en fonction des différents systèmes.

Transcription phonétique des tons mandarins dans les différents systèmes

4.1 Avec des diacritiques

L’API dispose d’une série de signes diacritiques dévoués à la représentation des tons. Ils ne sont pas aussi souples que les autres systèmes. Comme on le voit dans le tableau ci-dessus, un des tons du chinois n’est pas reproductible avec un diacritique.

  • [a̋] : très haut (55) ;
  • [á] : haut (44, ou bien accent de hauteur) ;
  • [ā] : moyen (33) ;
  • [à] : bas (22) ;
  • [ȁ] : très bas (11) ;
  • [ǎ] : montant (15 par ex.) ;
  • [â] : tombant (51 par ex.) ;
  • [a᷄] : haut montant (35 par ex.) ;
  • [a᷅] : bas tombant (21 par ex.) ;
  • [a᷈] : montant descendant (353 par ex.).

4.2 Avec des barres

Les barres tonales permettent d’afficher graphiquement la hauteur des tons. Il en existe une pour chaque pseudonote : /˩ ˨ ˧ ˦ ˥/.

Ces caractères sont magiques car ils sont autocombinatoires. Quand on les écrit côte à côte sur des systèmes compatibles, ils fusionnent pour afficher une seule barre tonale correspondant au ton voulu. WordPress n’étant pas un système compatible 😢, j’ai fait une petite vidéo où je reconstruis les tons mandarins avec.


4.3 Avec des chiffres

Celui-ci, je vous l’ai déjà appris ! C’est le système le plus intuitif et pédagogique.

La seule différence en API, c’est qu’on met les chiffres en exposant après la syllabe concernée. Aussi, le mot mandarin “mā” est transcrit /mä⁵⁵/ et non /mä55/.


5. Conclusion

En phonologie, il existe des éléments suprasegmentaux qui agissent sur la prosodie. L’intensité et la hauteur des syllabes en font partie. Quand l’une ou l’autre augmente sur une syllabe, on parle d’accent tonique. Quant il s’agit de la hauteur, elle peut non seulement être augmentée mais aussi modulée, produisant ce que la phonétique appelle un ton.

Faites-moi savoir si cet article vous a aidé. Sinon, l’espace commentaires vous est ouvert ! Si vous voulez en savoir plus sur l’alphabet phonétique international, visitez mon article « Tout savoir sur l’alphabet phonétique international ».


6. Sources

Merci à Siddhartha Burgundiae pour sa relecture !

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[…] potentiel de l’API pour noter la hauteur des sons est très limité. On le fait pour les langues à tons, mais on ne connaît que cinq « pseudonotes » pertinentes dans le langage. De plus, elles aussi […]

[…] Pour tout savoir sur les tons, voyez mon article « Phonétique : qu’est-ce qu’un ton ? ». […]

[…] Comment produire un ton […]

[…] Si vous voyez des chiffres en exposant (par exemple  /a55/  ou  /a313/ ), des barres un peu curieuses comme  /˩ ˨ ˧ ˦ ˥/ , ou encore un des diacritiques présents dans la liste suivante, vous vous trouvez en présence de tons. Je les explique en détail dans cet article. […]

[…] Les tons dans l’alphabet phonétique international […]

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