[Avis lecture #14 – 2/2] La Communauté de l’Anneau : œuvre ou univers ?


Mon analyse critique & mon avis sur le roman La Communauté de l’Anneau de J. R. R. Tolkien (1954), première partie du Seigneur des Anneaux.

Cliquez ici pour lire la première partie du billet.

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Une œuvre culte parce qu’on ne peut pas la considérer de manière globale

Chacun percevra La Communauté de l’Anneau comme un opus immense, et n’aura pas le sentiment de rater grand chose parce que Tolkien a du génie quand il s’agit de ne pas noyer les éléments significatifs dans la marée d’informations qu’il étale sur sa narration afin de la rendre aussi lente que touffue. Néanmoins, dans sa manière de se détacher totalement du réel et d’être intrinsèquement complète, son premier livre semble contenir le prisme à travers lequel chaque lecteur l’abordera. Autrement dit, il est si dense et unique qu’on ne peut vraiment l’interpréter qu’à travers lui-même.

Illustration de l'entrée des Mines de la Moria
L’entrée des Mines de la Moria.

En effet, le monde de l’Anneau a ses propres valeurs. Son lore titanesque nous prive d’une objectivité qui n’existe pas, comme si on devenait soi-même une partie de la Terre du Milieu sans qu’il soit forcément besoin d’être absorbé par le récit, et qu’on ne pouvait plus raisonner comme un lecteur, « extérieur » à lui.

Difficile alors de parler de La Communauté de l’Anneau en termes d’ennui. Le voyage de Frodon est objectivement ennuyeux, répétitif et surdétaillé. Mais il semble impossible de l’exposer ainsi sans également se dire que ce n’est pas le livre qu’on trouve monotone et déplaisant, mais le voyage lui-même. Or, je n’aime pas voyager, et il se trouve que ce sont les pérégrinations qui me gênent, ainsi que la routine de l’épuisement et de l’inconfort. À part le col de Caradhras et les mines de la Moria, aucun lieu ne m’a fait sentir à l’aise, quoique j’appréciais de les contempler une fois que j’y étais.

The world is indeed full of peril, and in it there are many dark places; but still there is much that is fair, and though in all lands love is now mingled with grief, it grows perhaps the greater.

Haldir

Cette vision, c’est précisément celle que j’aurais eue en tant que personnage du livre. Est-ce bien celle d’un lecteur ? N’est-ce pas plutôt celle d’un touriste qui se croit tous les droits de faire le prosélytisme de jugements de valeur réclamés par personne ? En effet, comment peut-on se sentir si profondément ancré dans une œuvre de fiction sans être absorbé par elle (je ne l’ai pas été – peut-être à cause du style trop riche ne seyant pas à un monde qui veut exister en lui-même) ni ressentir le dépaysement qui serait celui d’un véritable touriste dans un environnement si alien ?

Illustration du col de Caradhras
Le col de Caradhras

Ce paradoxe tient à des choses aussi simples que l’intégration de la magie. Élevée (ou abaissée ?) à un niveau culturel, elle « va de soi ». Contrairement à la plupart des auteurs qui s’en servent pour instiller un décalage vivant entre le fictif et le réel, Tolkien en use pour enraciner son livre dans SON réel, qui devient aussi celui du lecteur s’il le veut bien. Et parfois même contre son gré « conscient ».

Cela remet en question la nature même de l’œuvre. Ce n’est plus un roman, c’est un univers. Dépassant sa condition de livre, il devient ce qui est sûrement la voie la plus large qui fût jamais construite entre l’imagination de deux êtres : le lecteur et l’auteur. Était-ce davantage question de talent ou de temps ? Difficile à dire, mais il est certain que Tolkien n’aurait pas pu atteindre cet étonnant niveau « culturel » de la fantasy, ni su nous faire entrer dans son imaginaire, si cela ne lui avait pas littéralement pris toute sa vie. Finalement, je me demande si je fais


L’analyse du livre ou de l’univers ?

J’ai pris conscience en écrivant ce billet que mes lignes sont loin d’être purement analytiques. Si Tolkien nous donne lui-même les repères qui nous servent à nous forger un avis sur son œuvre, ne fait-on pas une analyse du roman à travers les yeux mêmes de son auteur ? Cela ne rend-il pas le critique-analyste borné et sa tâche récursive ?

S’il s’agit là d’un coup de maître, il y a quand même de quoi revenir sur le rôle que j’attribuais au critique dans mon introduction : « se rappeler de ce que le Seigneur des Anneaux a pu être à l’origine, et surtout avant Peter Jackson ».

Car si j’ai raison de croire que le vrai mérite de Tolkien est de conditionner la source de l’opinion de son lecteur (autrement dit que la seule objectivité qu’on peut atteindre en lisant Tolkien est de devenir soi-même une partie de la Terre du Milieu), alors il ne peut y avoir de corruption d’une quelconque vérité. Le Seigneur des Anneaux serait une œuvre qui ne peut exister qu’en elle-même, et toute interprétation en est par conséquent correcte, compte tenu du fait qu’on ne peut pas l’extraire de ses repères.

Il est si loin le temps où l’on se retournait une dernière fois vers Hobbitebourg…

Dans ce raisonnement, les films aussi sont forcément corrects. Rassurez-vous, chers puristes : si je défends la thèse de la création « autonome », ils ont quand même deux gros torts. Premièrement, ils sont sélectifs : ce sont vraiment des œuvres, en aucun cas un « univers » (ce que le cinéma ne pourra jamais rendre comme les romans, si tant est, déjà, qu’on admet l’ouvrage de Tolkien comme littérairement surpassable). Deuxièmement, ils sont prosélytes : ils nous font oublier, justement, que le terme d’ « œuvre » pour Le Seigneur des Anneaux est réducteur. En tout cas pour son premier livre. En effet, cette analyse portait seulement sur La Communauté de l’Anneau, malgré son apparence de grosse digression.

Il y a beaucoup trop de choses à analyser dans cette grandiose épopée de fantasy, et mes chroniques sur les deux autres livres devraient me permettre de m’attacher davantage à son côté purement littéraire, histoire de répondre à la question « oui ms ses bi1 ou pa ? » En tout cas, c’est le plan.

For even the very wise cannot see all ends.

Gandalf

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Sauf indication contraire, les illustrations sont de Ted Nasmith.

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