[Chronique cinéma] Paris, je t’aime ; L’Île de Nim ; Suburra ; Leviathan ; Headhunters


Dans les cinébdos, je compile mes analyses critiques sur les films vus dans la semaine. 📚 🎥



Sommaire
Paris, je t’aime (film collectif, 2006)
L’Île de Nim (Jennifer Flackett, Mark Levin, 2008)
Suburra (Stefano Sollima, 2015)
Leviathan (Andreï Zvyaguintsev, 2014)
Headhunters (Morten Tyldum, 2011)

 




Image d’en-tête : Paris, je t’aime ; films 58 à 62 de 2020


6,5
6,5

Lundi : Paris, je t’aime


(film collectif, 2006)


« Thématique : Gérard Depardieu »*




Difficile d’écrire un avis objectif sur 16 sketchs qui ont chacun des réalisateurs différents avec leurs méthodes propres, des personnalités fortes & des choses variées à prouver ; pas tellement des sketchs (c’est trop péjoratif) que des “microfilms”, d’ailleurs, car leur credo, c’est la densité.

Est-ce que tu mimes ?

Le but, c’était d’évoquer Paris à sa façon, du point de vue des sentiments les plus profonds, ce qui est en soi un sujet inépuisable & extrêmement inspirant, surtout quand un faux air de compétition s’immisce entre les innombrables artistes devant & derrière les caméras. L’expression “il y en a pour tous les goûts” peut alors être appliquée au film sans cliché.

On ferait peut-être un tour de l’œuvre plus efficace en la mettant dans une case littéraire plutôt que cinématographique, car étant libérés des soucis duratifs du cinéma (la continuité, l’équilibre, l’évolution), les cinéastes mettent tout sur le scénario (notamment la chute) ou bien sur l’audace graphique, deux moyens non pas de faire des films, mais de construire un monde le plus compact & planant possible – en même temps. Les 16 petites histoires sont des nouvelles qui rechignent à quitter le papier de pages qu’elles n’ont jamais connues.

Pas de “critique” à proprement parler donc : juste de quoi avertir qu’on ne peut PAS s’attendre à la vraie nature de Paris, je t’aime, qui mène successivement sur le convenu, des sentiments bruts & des histoires à la fois un peu trop nombreuses & trop rapides pour le regard du cœur – autant de fausses pistes que le film nous apprendra à apprivoiser.




 


2,25
5,5

Mardi : L’Île de Nim


(Jennifer Flackett, Mark Levin, 2008)


« Thématique : Jodie Foster »*






Il est amusant que Foster, dont j’ai vanté les rôles généralement intelligents au cœur des années 2000, se trouve ici coincée dans l’extrême inverse avec son rôle puérilement phobique d’écrivaine en panne d’écriture. Peut-être cherchait-elle à se “détendre” dans un scénario moins tortueux que d’ordinaire, mais ça ne l’obligeait pas à devenir l’héroïne d’Abigail Breslin, alias Nim, laquelle arrive à conserver plus de prestance que sa collègue adulte – sûrement parce qu’elle a été castée spécialement pour un film pour enfants & que c’était encore tout à fait son élément.

Pourtant le film prenait une piste créative qui promettait *au moins* un film familial. La différence entre un film pour enfants & un film familial, c’est que ce dernier ne renierait pas les sciences en bloc sous couvert d’un personnage scientifique (volcanologie, biologie… tout est allègrement piétiné) ni n’investisserait dans une ménagerie médiocre où les lézards peuvent quasiment parler & où les pélicans qui font koa-koa en ouvrant grand le bec sont les meilleurs amis de l’Homme. Un film familial aurait entretenu la trame affective sans avoir à la faire surjouer sur fond de musique épique ni multiplier les sous-intrigues. Il y avait tant à faire avec l’idée du personnage fictif qui prend vie, pourtant… ç_ç

Koa-koa.

C’est un peu ce qui sauve le film tout de même ; il se passe tant de choses que les pires erreurs sont vite passées sous le tapis (& je n’ai pas dit “nettoyées”) : un personnage qui se répète ou qui se souvient d’un coup d’un truc supposément oublié, les ”aurores boréales du sud” (les fameuses ! ; on est en droit de croire qu’Hollywood aurait les moyens d’investir dans un détecteur de pléonasmes), les “moussons” qui signifient “typhons”, la culture locale embringuée dans une touristoculture fausse & ridiculement consumériste…

Bof, chaque chose que j’énumère est une raison de plus à me rétorquer : “oui, mais c’est bien pour ça que c’est un film pour enfants”. À quoi je réponds avoir eu l’impression que le seul enfant qui a trouvé distrayant ou comique cette sal****ie de lézard lancé par une catapulte & qui fait “aaaaaaa” en se jetant sur des méchants, c’est Breslin. On passe un bon moment sur l’île, mais il ne dure pas un bon moment.

Moins on en a, plus on l’étale : voilà ce qui est arrivé à l’humour & à la rigueur de Flackett & Levin qui ont fait une grosse tartine antipédagogique de leur joli Pacifique australien.



 


6,75
3

Jeudi : Suburra


(Stefano Sollima, 2015)


« Thématique : langue italienne »*






Suburra : pour le dire anachroniquement, c’était un “arrondissement” de la Rome antique, la “banlieue” de la vieille ville. En italien, c’est resté un nom commun pour un lieu interlope où sévissent le crime & la corruption. Mais loin des millénaires que le terme a traversés, le film se concentre au contraire sur les derniers jours avant l’Apocalypse, qui est une métaphore de la renonciation du pape (quoique réalisé deux ans après la vraie, il la place deux ans avant), ou bien de ses causes.

Dans cette semaine de Déluge où Rome connaît toutes sortes d’orages (littéraux ou politiques) qui mèneront inéluctablement à sa chute comme dans les temps anciens, on est donc prévenus : le meurtre & la manipulation seront de la partie, constituant une ambiance étouffante & , c’est le cas de le dire : infernale. La douce Apocalypse un peu dan-brownesque dans laquelle nous précipite sans hâte la musique ambient de M83 – très bien utilisée, & c’est quelqu’un qui est fan du groupe qui vous le dit – met les exactions sur une échelle bien plus haute que celle, facile, de la vengeance, vers laquelle on se dirige avec le sentiment de baigner dans une catharsis qui dure, qui dure, qui dure même depuis l’introduction.

Kesta, la pluie ? T’veux t’bat’ ?

Cette félicité hors “d’attente”, cet espoir qui surplombe un climat où les Hommes font les uns aux autres ce qu’il y a de pire, cela donne l’impression de quelque chose de grand mais de simplement contemplatif qui ne demanderait qu’à jouer un rôle. Les métaphores dantesques & diluviennes ne sont pas un hasard : ce quelque chose, c’est la religion.

Si plusieurs intrigues se mêlent mieux qu’un quidam dans la foule (mafia, petits crimes politiques etc.), la religion est totalement détachée, détaillée par le réalisateur avec calme, comme exaspérée d’être l’épicentre des péchés qui ravagent la ville millénaire. Elle vit son histoire à part, neutre & pacifique, & le pape tourne le dos (comme à la caméra) aux horreurs que Rome traverse – de même que la partie de notre esprit de spectateur la plus frustrée de ne pas avoir de quoi se divertir.

Plus que jamais évocatrice d’elle-même en tant que racines aux valeurs qui la traversent, la ville porte pour qui veut les voir tous les péchés : la luxure & l’orgueil viennent en premier, mais c’est un florilège que le scénario, très brut, violent & d’apparence hardcore, amène subtilement derrière les flous intrusifs coiffant les protagonistes d’une sorte d’anti-auréole.

Il m’a été difficile toutefois de voir l’absence de salut comme une partie de ce que je défends dans Suburra ; il y a trop de corps inertes, trop de souffrance ; l’Apocalypse devient trop matérielle alors qu’elle n’est pas concrète – & ne devrait pas l’être. Même si l’on connaît la destination, on aimerait la sentir s’approcher, cependant Sollima ne dépassera pas l’élégance de ses compositions les plus dures pour nous donner foi en elle.




 


4
3

Vendredi : Leviathan


(Andreï Zvyaguintsev, 2014)


« Thématique : langue russe »*






Extrapoler un scénario complet d’une intrigue simple : aspiration sociale & inspirations surnaturelles, voilà le défi de Zvyaguintsev pour Leviathan.

Promouvant la distance spatiale, avec de grands paysages, des sons qu’on entend de loin, de récurrents trajets en voiture & des phrases longues, le réalisateur est comme réticent à montrer la proximité. Il voulait que le film soit déduit par le spectateur, l’appâtant dans le trou de souris d’une interprétation mise à l’étroit. Alors l’esprit se fixe sur une chose : le titre.

Distance.

Inception discrète d’un symbole qui transcende le quotidien, le léviathan va devenir la métaphore & le leitmotiv du visionnage. On croira le voir entre les épaves, on craindra son courroux quand un caillou est jeté dans une eau calme, & lorsqu’une baleine perce la surface de l’eau au loin (toujours au loin), ce n’est évidemment pas une baleine.

La menace biblique, franchement ésotérique, devient une menace – franchement ésotérique – pour l’image-même que l’on contemple, transformant l’écran en l’océan que déchire l’évent du monstre ; l’air de rien, cela amène du rythme dans une vie de tous les jours assommante. En effet, les plans sont beaux mais les lents travellings tous les mêmes – ou bien s’agit-il de la vérité annoncée par le pope, ce “reflet de la réalité qui n’a pas besoin de se travestir” ? Le peuple de Mourmansk ne vit effectivement qu’aux heures où les nuages se déguisent de couleurs vives, des moments qui bornent des journées courtes, mais Zvyaguintsev est trop mystique pour jouer les fildeféristes climatiques de la contemplation pure.

Non, décidément, il faut se raccrocher à ce léviathan qui reste mystérieux avant qu’on ne voie son squelette sur une plage, puis sa résurrection silencieuse, au loin (toujours au loin), accompagnant le retour en disgrâce de sentiments trop forts finalement trop peu évoqués.

Quand le social se mêle au familial, tout se passe pour le mieux. Quand les acteurs jouent pompettes parce qu’ils ont bu de la vraie vodka pendant les dix prises de la scène, aussi. Mais le tournage prend du même coup des allures de défi qui défont la trame déjà fragilisée par trop de symboles creux.

Ode judiciaire admirable, fortement documentée & immersive puis habile en déviations de toutes sortes, le film n’est pas parvenu à me faire percevoir ses éléments & protagonistes comme rayonnants ou résonants. Ce qui me conforte dans cette déception, c’est ce que Leviathan a de plus fort : Roman Madyanov & Anna Ukolova, & la figure religieuse qui flatte les dirigeants dans leur dictature administrative. La Russie n’a pas été ravie de voir ses Russes représentés comme des alcooliques manipulés par l’orthodoxie, & il faut avouer que ç’aurait pu être mieux fait.




 


4
4,5

Samedi : Headhunters


(Morten Tyldum, 2011)


« Thématique : langues du monde »*






Entre Headhunters, The Imitation Game & Passengers, on a l’impression que Tyldum a pressé les gros cinémas nationaux comme des agrumes. Dans cette optique & dans son ultime création norvégienne en date, il a mis le paquet : hyperthriller violent jusqu’à un macabre dispensable, il frôle sans audace la psychose & la paranoïa dont il tirera ses énergiques rebondissements.

Particulier dans sa froideur & son désintéressement, le film se dissocie de ses inspirations américaines en les niant en clair : on entend “on se croirait dans un film” & nous voilà pris d’un doute : ce fantasme à moitié prémâché de la richesse, machistement détenue par le personnage d’Aksel Hennie, se prend-il au sérieux à ce point ? La phrase suivante verrouille le système : “on ne verrait pas ça dans un film”. Et bien, des policiers jumeaux obèses non plus, on ne les verrait pas dans un film (surtout pas s’il se prend au sérieux), pourtant ils sont là, artéfact d’une base littéraire solide que le casting a cru bon de reproduire.

Hélas, si l’on sent que le roman fait tourner rond le moteur de Tyldum, le film porte l’adaptation comme un boulet qui lui reste en travers de la gorge (confortable, hein ?), & la fluidité initiale se surpasse jusqu’à nous donner l’impression malheureuse de flotter dans un scénario trop grand pour elle & où le riche macho, d’insituable, devient mal situé. Même chose pour le Méchant™ : malade mental ou simple mec qui fait son job, il repose dans une ambiguïté dépourvue de vocation scénaristique.

C’est alors que la partie la plus épaisse du thriller, morbide & peu psychologique, sort comme la floraison d’une monoculture du Risque™ comme unique motivation narrative – bientôt lassante. Ce gloubi-boulga est à peu près rattrapé par une fin où les éléments supposément susceptibles de provoquer des frissons se doublent d’une utilité assez digne, cette fois-ci, du thriller.

La masculinité du riche macho est mise à mal & sa remise en question éclaire sous un autre angle – quoique chichement – la pyramide de crimes bruts dont dégoutte encore l’encre des notes de l’auteur. À vouloir brasser des millions & se donner quelques bribes de classe à l’américaine, Headhunters ne sait trop choisir, finalement, entre le drame ultrasérieux, le thriller sans issue & le film de divertissement qui use du grotesque comme soupape de tolérance. Il demeure de ce fait une modeste “tentative”.





* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique. Plus de détails ici.

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