Quelle est la différence entre phonologie et phonétique ?


Phonétique et la phonologie : y a-t-il une différence ? Est-ce que ce sont des termes techniques ? y a-t-il abus de langage ?

ℹ️  Cet article fait partie d’une série que j’ai écrite pour initier à la phonétique et à l’alphabet phonétique international. Si vous ne comprenez pas certains concepts que j’aborde ici, consultez ce lien pour en trouver le sommaire ! 

Sommaire

  1. La phonologie
    1. Les segments
    2. Les phonèmes
    3. Pourquoi on n’a pas tous le même nombre de phonèmes
  2. La phonétique
    1. Des distinctions inconscientes…
    2. …qui peuvent être pertinentes
    3. Le domaine de la précision
  3. Résumé

On sait tous à peu près ce qu’est la phonétique : “c’est ce qui se rapporte à la prononciation d’une langue”. Une définition suffisamment vague pour ne pas être fausse. Mais si l’on fait remarquer qu’il existe aussi la phonologie, la distinction est déroutante. Toutefois, elle est importante.

J’ai essayé de faire un article le moins technique possible, ce qui est particulièrement ardu dans ce cas précis. N’hésitez pas à râler dans les commentaires pour demander des précisions ou des éclaircissements ; je vous les fournirai avec plaisir (oui, même si vous râlez !).


1. La phonologie

1.1 Les segments

Une langue est toujours signée ou orale (l’écriture n’est jamais qu’une extension de la langue). Dans les deux cas, on peut décomposer le langage jusqu’à parvenir aux plus petits morceaux utiles qui la composent, en quelque sorte ses “atomes”.

Dans une langue orale, le sens est porté par les sons : des consonnes et des voyelles. Ensemble, ils forment les segments, les plus petites unités sonores d’une langue, les “atomes de la prononciation”.

Les atomes peuvent être décomptés, et leur nombre varie en fonction de la langue, du dialecte ou de l’idiolecte(?). Mon idiolecte du français compte 13 voyelles (soit trois de moins qu’en français standard) et 20 consonnes (soit une de moins que le standard). Ces 33 segments forment ce qu’on appelle l’inventaire phonologique de mon idiolecte du français : ce sont des phonèmes.

1.2 Les phonèmes

Un phonème est un segment qui peut être distingué d’un autre pour créer du sens. Par exemple, les mots ”dent” et ”temps” ne sont distingués à l’oral que par un seul segment de différence :

Différence entre deux phonèmes

Cela prouve que les consonnes  /d/  et  /t/  peuvent être distinguées l’une de l’autre pour opérer une distinction de sens en français, et par conséquent que ce sont des phonèmes du français.

Les phonèmes sont les “sons pertinents”. Sans la différence phonologique entre  /d/  et  /t/  en français, “dent” et “temps” seraient homophones, et des centaines d’autres mots deviendraient homophones les uns des autres ; or, les confondre n’est pas souhaitable, donc la différence est “pertinente”, “importante”.

Distinguer deux mots de sens différents qui ont un seul segment de différence, c’est établir une paire minimale. Il s’agit de la méthode utilisée pour établir scientifiquement l’inventaire phonologique d’une langue. ”Dent” et ”temps” forment ensemble une paire minimale prouvant que les sons  /d/  et  /t/  sont phonémiques (on dit aussi distinctifs) en français, car le sens de certains mots est distingué grâce à leur distinction l’un de l’autre.

La phonologie (qui est le domaine auquel appartiennent les phonèmes et les paires minimales) est donc la partie de la phonétique qui s’intéresse à l’usage qui est fait des sons, c’est-à-dire au rôle qu’ils jouent dans la transmission de l’information. Plus simplement, c’est une représentation minimaliste de la prononciation d’une langue, qui n’a pas pour rôle de la marquer avec précision, ni de noter les variations ou les interactions entre les sons. Elle pose la question : quels sons sont importants dans telle langue ?

La notation phonologique est conventionnellement marquée entre barres obliques :  // . Les dictionnaires utilisent une transcription phonologique, même si parfois ils la marquent entre crochets  []  (ce que je trouve agaçant puisque c’est justement ainsi qu’on marque la notation phonétique).

1.3 Pourquoi on n’a pas tous le même nombre de phonèmes

Comme beaucoup de francophones aujourd’hui, mon idiolecte réduit la quantité de phonèmes que requiert le français standard, “théorique”, pour l’amener vers une version pratique qui élimine les distinctions les moins pertinentes.

La perte d’un phonème s’opère généralement par la confusion de celui-ci avec un autre : je confonds moi-même la prononciation théorique de ‹a› et ‹â› (distincts, donc phonémiques en français standard) en un seul phonème. Cela signifie que, pour moi comme pour de nombreux francophones, les mots “pâte” et “patte” sont homophones. On peut toujours considérer la distinction comme “pertinente” puisqu’elle permettrait de distinguer ces deux mots (entre autres), toutefois beaucoup de locuteurs la perdent car elle est peu productive.

Pourquoi est-elle peu productive ? Parce que la distinction des voyelles ‹a› et ‹â› ( /a/  et  /ɑ/ ) opère en réalité très peu de distinctions de sens importantes : on ne peut pas établir beaucoup de paires minimales entre les deux. C’est ainsi que la plupart des locuteurs considèrent (inconsciemment) la distinction comme inutile et participent à la perte d’une voyelle du français.

On pourrait dire de même pour la distinction entre ‹in› et ‹un›, peu productive et qui s’obsolétise. C’est pour ces raisons, en tout cas, que j’ai considéré (inconsciemment) que 4 distinctions phonémiques du français standard étaient “inutiles”.


2. La phonétique

2.1 Des distinctions inconscientes…

Les 33 segments phonologiques de mon idiolecte du français ne prennent pas en compte les variations qu’ils peuvent connaître, qui sont potentiellement innombrables.

La distinction entre [c] et [k] n’est pas pertinente (pas phonémique) en français, pourtant il s’agit bien là de consonnes différentes : la première est une consonne palatale, plus avancée dans le palais que la seconde, qui est une consonne vélaire.

Cela n’empêche pas le français de bel et bien avoir ces deux sons : par exemple, la lettre K dans “Kosovo” est réalisée [k], mais la lettre K dans “qui” peut être prononcée [c] sous l’influence de la voyelle  /i/ . Ce n’est tout simplement pas une différence porteuse de sens en français, et c’est pourquoi nous n’avons pas conscience de la différence entre [c] et [k] et qu’ils nous semblent être le même son à première vue – ou plutôt à première écoute.

La différence entre [c] et [k] est donc réelle en français, mais comme elle n’est jamais “pertinente” (dans le sens où elle ne produit jamais de distinction de sens), ce n’est pas une distinction phonologique : aucune paire minimale ne peut être établie entre les deux sons en français. Autrement dit : c’est une distinction phonétique et c’est pourquoi on la marque entre crochets  [] .

2.2 …qui peuvent être pertinentes

Toutefois, la distinction entre  /c/  et  /k/  peut être phonémique dans d’autres langues, au même titre que pratiquement n’importe quelle distinction entre deux segments : c’est le cas en hongrois, où la différence entre les deux sons est porteuse de sens. Des paires minimales le prouvent, comme : “kuka” (“idiot”) et “kutya” (“chien”).

Différence entre deux phonèmes

Aux oreilles d’un francophone, les deux mots sembleront homophones, et il s’étonnera d’une distinction si “subtile”, car le son [c] sera pour lui une variante inconsciente du phonème  /k/ . En fait, la distinction est aussi évidente pour un magyarophone (un locuteur du hongrois) que celle qu’il y a entre  /t/  et  /d/  pour un francophone. C’est notamment pour cette raison que les sons étrangers nous paraissent forcément plus difficiles que ceux dont est pourvue notre langue maternelle. Mais c’est une illusion.

Pour donner l’exemple inverse, les anglophones apprenant le français ont beaucoup de mal à maîtriser la différence entre le son du U et le son du OU (respectivement  /y/  et  /u/ ) car ils sont pour eux “deux sons OU” : l’un peut être la variante inconsciente de l’autre, dialectale par exemple (le  /uː/  anglais est prononcé plus proche de [yː] en Australie) et c’est un choc pour eux d’apprendre la différence entre ces deux sons en français.

2.3 Le domaine de la précision

Si vous avez fait attention aux endroits où j’ai utilisé des crochets pour marquer les sons, vous vous rendrez compte que ces réalisations phonétiques répondent toujours à un besoin de précision.

Quand on veut parler avec précision de la prononciation d’une langue, ou qu’on veut prendre en compte toutes les variations que les sons peuvent subir, c’est toujours du domaine de la phonétique à proprement dit. Une variation peut notamment être :
1. environnementale (par ex. :  /k/  devient [c] devant  /i/ , comme dans ”qui” – phénomène d’allophonie) ;
2. dialectale (par ex. :  /ɛ̃/  devient [ɛŋ] dans l’accent du Midi, comme dans ”pain”) ;
3. idiolectale (par ex. :  /ʁ/  est [ʁ̞] quand c’est moi qui le prononce).

Différences entre la phonétique et la phonologie du mot anglais “brittle”

La phonétique ne s’intéresse pas qu’aux sons importants mais à leur comportement. C’est une science à part entière : l’étude des sons du langage.


3. Résumé

En résumé, un phonème est la représentation unifiée, minimale et parfois arbitraire d’un son pertinent dans une langue. Par exemple, le R anglais est souvent noté  /r/ , pourtant il est généralement réalisé [ɹ] et n’est vraiment prononcé [r] que dans une extrême minorité des dialectes ; toutefois sa notation précise n’importe pas car l’anglais n’a qu’une consonne de ce type, ce qui rend impossible de la confondre avec une autre, même si sa notation phonologique est imprécise. Un phonème donné sera toujours transcrit de la même manière, même si sa prononciation exacte peut fluctuer selon des facteurs divers.

La phonologie est un standard largement théorique qui s’intéresse seulement aux phonèmes, donc à la façon dont les segments portent le sens dans une langue donnée, indépendamment de leurs variations pratiques. Donc oui, dire “phonétique” peut être un abus de langage, quoique sans importance aucune dans la vie de tous les jours !

→ Voir aussi mes articles ”Combien de sons différents (consonnes et voyelles) un humain peut-il produire ?” et “Pourquoi certaines consonnes n’existent-elles pas ?”.

Il est possible que la réalisation phonétique soit égale au phonème qui lui correspond (par exemple, un francophone peut très bien prononcer le phonème  /a/  comme [a]) mais il s’agirait d’une coïncidence, et cette coïncidence ne s’applique jamais à l’ensemble d’une langue ; personne ne prononce tous les  /a/  comme des [a], tous les  /t/  comme des [t] etc. Avec les réalisations phonétiques, tout peut arriver : le  /ʁ/  français peut devenir [ɐ] (oui, une voyelle), le  /t/  anglais [ʔ], etc., etc.


Comme je le disais en introduction, ce sujet est un gros morceau à vulgariser et j’espère avoir fait au mieux. N’hésitez pas à user de l’espace commentaires si vous avez la moindre question, et merci de votre lecture !

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ceciloule

Oho je retrouve un terrain connu… et mes années de phonétique puis phonologie anglaise 😉

Eowyn Cwper

Ouf, il y aura au moins quelqu’un à qui ça parle. 😀

ceciloule

Oui 😉

Rukmal

Un bel article, très intéressant et complet ! Merci et bravo à vous pour votre travail !

Eowyn Cwper

Merci encore !

[…] Voir aussi mon article Quelle est la différence entre phonologie et phonétique ?, paragraphe § Les […]

[…] Avant de plonger dans la lecture des signes phonétiques, il peut être important de pouvoir répondre à cette question : « quelle est la différence entre phonologie et phonétique ? ». […]

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