[Micronouvelle #12] Entre deux nems


(622 mots) En juin 2019, on me défia d’écrire un texte romantique, et voici ce qui en a résulté – un peu retouché avant publication. C’est marrant de sortir de sa zone de confort mais j’avoue que je ne pense pas revenir à ce style avant longtemps.


L’illustration est d’Arthur (pas celui de l’histoire, celui du 7ᵉ café)


Je l’avais remarqué peu après être arrivé. Je ne sais pas pourquoi, car il me tournait le dos et se tenait immobile. Peut-être quelque chose dans sa stature ? Ou ses cheveux ? Je m’étais dirigé vers le buffet, pensant que je l’oublierais vite devant l’étalage de nourriture – rien de tel pour m’occuper. Il fallut qu’un autre invité – un de mes cousins, peut-être – me fasse remarquer que j’avais mangé presque tout un plateau de nems pour me rendre compte à quel point j’étais distrait.

Après un moment, frustré par la vision de cette silhouette refusant de quitter mon esprit, je décidai de partir à sa recherche. Je le trouvai rapidement et m’assit sur un banc non loin de lui en faisant semblant de n’avoir d’yeux que pour le nem que je tenais encore à la main. Maintenant que je le voyais de profil, l’effet qu’il avait produit en moi revint, plus fort.

Ses cheveux, très sombres et un peu crépus, avaient effectivement quelque chose de captivant. Mais il n’y avait pas que ça, et je mis quelques instants encore à comprendre d’où venait vraiment ma fascination. Je suppose qu’un autre n’aurait pas trouvé son corps particulièrement harmonieux, mais on aurait dit que quelqu’un avait écrit ces formes pour me les destiner, à moi, à moi seul, tel un code secret que j’avais ignoré connaître jusqu’à ce jour.

Soudain, il tourna le regard vers moi et ses yeux devinrent tout ce qui existait dans mon monde. Si quelqu’un était venu me parler, crier même dans mon oreille, je crois que je ne l’aurais pas remarqué. Ses yeux ! Sombres et doux, ils semblaient déverser toute la tendresse du monde, sur moi qui, pourtant, venais de lui apparaître.

Puis je réalisai le spectacle que je donnais de moi, assis seul sur un banc, un nem à la main, contemplant ce garçon d’un air ahuri. Je rougis. Je crois qu’il le remarqua. Quelqu’un de son groupe s’adressa à lui, mais il eut du mal à détourner ses yeux de moi. Son sourire en coin redevint le masque social qui m’avait d’abord attiré, et je compris avec certitude qu’il pourrait, s’il le voulait – si seulement il le voulait ! –, ouvrir tout un pan de mon univers.

J’étais comme un enfant prêt à croire toutes les promesses d’un espoir. Mais pour le moment, cela ne semblait pas compter. J’avais tout ce qu’il me fallait. J’étais heureux.

Je mâchonnai mon nem, rêveur, attendant qu’il me regarde encore. Oui, j’étais heureux. Je l’avais vu, il m’avait vu ; c’était si peu, pourtant cela voulait dire tellement de choses ! Tout à l’heure, je me lèverais et j’irais lui parler. Pour le moment, j’essayais de deviner l’expression qu’il aurait en me voyant arriver, savourant d’avance les premières inflexions de sa voix quand il s’adresserait à moi.

Un autre jeune homme rejoignit son groupe. Moins corpulent, châtain, les cheveux en bataille et les yeux rieurs, il arborait une barbe bien taillée. « Arthur ! », s’exclama l’autre d’un ton enjoué en le voyant arriver. J’eus un pincement au cœur quand je les vis se passer un bras sur l’épaule.

Je me sentis perdu : pouvais-je éprouver si vite quelque chose de si fort pour ce garçon avec qui je n’avais échangé qu’un seul regard ? Vingt minutes plus tôt, il n’existait pas pour moi, et voilà que je tentais de me rassurer en me disant que cet Arthur pouvait tout simplement être son frère.

Maintenant, je rentre chez moi. À pied, sous la pluie. Seul. Ça ne fait rien ; la pluie est chaude et ma maison est proche. J’ai besoin de temps. Du temps pour oublier que j’aime, peut-être. Du temps pour oublier d’avoir vu les deux garçons, peu après, s’embrasser sur la bouche.


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Siddhartha Burgundiae

«Entre deux nems» j’ai cru que tu allais nous parler du coronavirus ! (oui, les nems c’est viet-namien, mais bon !)
«Du temps pour oublier deux garçons en train de s’embrasser» roh ça va, toutes façons, tant que les boules se touchent pas, c’est pas gay !

Qu’est-ce que tu trouves difficile/repoussant dans l’écriture de textes romantiques ?

Eowyn Cwper

Owi, un brin de poésie siddesque dans mes commentaires. *_* Par contre, au niveau géo t’abuses.

Il y a peu de place dans la façon dont je gère mes sentiments pour l’eau de rose quarante-huit carats dont j’ai aspergé le texte. En gros, j’ai du mal à distinguer le beau du cliché. ^^

Ampadiem

Je n’y ai pas vu de cliché, bien au contraire, après relecture, au contraire exact du cliché. L’attrait pour celvi pour pourrait, dans son style qui ne s’y prête à priori pas, d’où sans doute déjà l’effet mordu, saisi, et qui ne peut que croître, sans l’être d’emblée donc, se révéler attiré par un homm, et l’ambiguïté d’une sensation mêlant la déception peut-être de ne pas être sur lvi le liquid révélateur d’une photographie, si haute en couleur l’eus-tu rêvé ~

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