Critiques cinéma : City of Ghosts, La petite fille au bout du chemin, Le Scaphandre et le Papillon, Un Garibaldien au couvent, Le Visiteur du musée, Le Prestige, Yoyo


Dans les cinébdos, je compile mes critiques sur les films vus dans la semaine. 📚 🎥


Sommaire
City of Ghosts (Matt Dillon, 2002)
La petite fille au bout du chemin (Nicolas Gessner, 1976)
Le Scaphandre et le Papillon (Julian Schnabel, 2007)
Un Garibaldien au couvent (Vittorio De Sica, 1942)
Le Visiteur du musée (Constantin Lopouchanski, 1989)
Le Prestige (Christopher Nolan, 2006)
Yoyo (Pierre Étaix, 1965)

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Image d’en-tête : Le Visiteur du musée ; films 218 à 224 de 2019

3,5
5,5

Lundi : City of Ghosts

(Matt Dillon, 2002)

« Thématique : Gérard Depardieu »*

Matt Dillon réalisateur, acteur & auteur : de grandes envies pour un début derrière la caméra. Ironiquement, il est meilleur que devant, où, n’étant pas dirigé, il tourne en roue libre à la façon de son script étriqué. D’ailleurs, la catastrophe aurait pu être complète s’il avait perpétué le style extrêmement télévisuel de ses cadrages, de mauvais augure mais créant une belle surprise, car sous couvert d’un scénario alambiqué, raté dans les toiles qu’il tente de tisser dans les hautes sphères criminelles mais réussi parce qu’il anti-lobbyise décemment, Dillon a l’intention d’être globe-trotter.

Le tournage s’est passé en Thaïlande à 90%, si bien que la ”Los Angeles Unit” comptait quatre personnes. Se mouiller comme ça, cela veut dire se mouiller avec toutes les casquettes, & il l’a fait. Cela veut dire aussi imposer un rythme aux acteurs, & ils l’ont pris, sans être brillants – surtout pas l’acteur local, Kem Sereyvuth, qui est presque potiche dans le rôle du mignon autochtone qu’on lui a attribué. Depardieu, par contre, on connaît, & la force de caractère du Français est parfaite à Phnom Penh, où il fait figure de Pépé le Moko grâce à son bar d’où sortent les notes de Dutronc, à l’aise dans une misère dont il semble, pendant un temps, qu’il a depuis toujours tiré sa subsistance.

Matt Dillon et Gérard Depardieu dans City of Ghosts
Tu prends quoi ?

On en perd le propos du film, ce qui est une bonne chose tant que l’immersion est en accord avec la musique parfois constante que le décor joue directement, ou quand c’est pour cacher que les idéaux de Dillon font de lui une sorte de héros. C’est un peu trop pour un seul homme & tout finit par partir à la benne : le plateau imbibé d’une Thaïlande authentique se fendille sous le poids ridicule de l’intrigue trop grosse où Dillon évite de perdre pied en transformant son modeste employé de bureau en enquêteur & en tueur.

Tenant la route dans une ambiance bizarre entre Orfeu Negro & Bad Lieutenant, City of Ghosts est une tentative dont il est difficile de dire si elle a été trop ambitieuse ou faite avec trop peu de talent.


8,25
7

Mardi : La petite fille au bout du chemin

(Nicolas Gessner, 1976)

« Thématique : Jodie Foster »*

Jodie Foster est perdue dans un Québec anglophone, isolée dans une œuvre noire qualifiée de film d’horreur. Jodie Foster est pour la première fois en gros au générique et dans un rôle de petite adulte marginale et survivaliste. Jodie Foster qui garde un souvenir affreux du tournage, parce qu’elle a vécu l’ironie d’une production qui la traitait comme une enfant alors que son interprétation adulte n’avait pas qu’à voir avec son talent : elle était comme elle s’est jouée.

Jodie Foster dans La petite fille au bout du chemin
C’est original comme bougie ça.

La petite maison dans la forêt a une saveur de The Holiday. Un secret, de l’isolement, le film commence aussi fort qu’il finit & ne rencontre aucun trou d’air. Tant pis pour le vécu de Foster : j’ai envie de remercier celui qui a eu l’idée de transformer un roman en pièce de théâtre & de la mettre dans ce proto-Les Nuits avec mon ennemi qui n’a presque que Martin Sheen pour assurer le ciment adulte. Mais on se demande s’il y en avait vraiment besoin quand on voit l’aisance avec laquelle Foster manie l’éloquence dont on la dote ou son habile familiarité avec le décor.

Elle est seule quand elle ne reçoit pas des visites pour la plupart intempestives qui sont les gâchettes d’une ambiance non pas horrifique mais bel & bien giallo, importée peut-être par tous les Italiens supposément voisins de la petite fille. Elle est seule & elle remplit seule le film de sa solitude jusqu’à ce qu’il explose en un monument de drame automnal dont elle est toutes les bourrasques en même temps. Les autres acteurs ne sont pas foncièrement mauvais mais ils sont effacés, car Sheen & Foster uniquement importent.

Assez court, sans répit ni besoin de transitions, le film de Gessner a peut-être été créé sans passion, comme le dit l’actrice, mais il fallait plus que la simple volonté de le tourner pour évoquer ces multiples amputations ressenties même lorsque son visage se ferme comme un morceau de glace. La solitude se transforme en manque puis en délaissement, & c’est un néant qui nous propulse au-delà de la mise en scène modeste, à la fois dans la stupéfaction & vers les bassesses humaines, empêchant par exemple que je remarquasse les fautes de goût.

Ces bassesses ont apparemment infesté les deux côtés de la caméra, volant son âme à un film qui aurait pu être autre chose. C’est à cela, je crois, que l’œuvre tient son côté désincarné & fantomatique, évocateur d’une horreur largement retrouvée dans les mentions au film mais à peine, en fait, en lui. Sans ça, je doute qu’il aurait été aussi génial.


8
4,5

Mercredi : Le Scaphandre et le Papillon

(Julian Schnabel, 2007)

« Thématique : Max Von Sydow »*

Sélectionné en remplacement d’un visionnage de Dario Argento s’étant révélé trop insupportable, Le Scaphandre et le Papillon est parti avec un handicap, mais pas autant que le personnage de Jean-Dominique Bauby, victime réelle d’un syndrome d’enfermement dont Schnabel a tellement tenu à retracer la vie qu’il a appris le français pour ce tournage. Le polyglotte Max Von Sydow l’a peut-être aidé dans cette entreprise entre les deux scènes de son protagoniste de père mourant, arrière-plan discret à une histoire pleine de clins d’œil. Et pour cause, le vrai Bauby a dicté son livre avec sa paupière gauche, seul moyen d’expression laissé par son corps.

Mathieu Amalric et Anne Consigny dans Le Scaphandre et le Papillon
C’est le vrai livre dans cette scène, du coup.

Ambiance d’hôpital, flous, vision resserrée et hallucinatoire : un hyperréalisme qu’on reconnaît dans la volonté de Schnabel de boycotter la version anglophone du film avec Johnny Depp ou Gary Oldman, dusse-t-il apprendre une langue pour diriger Amalric, celui qui s’y colle pour ne pas pouvoir jouir des mouvements de la sienne, enfermé lui-même dans le personnage de Bauby. Quarante minutes de caméra subjective : rien de moins pour nous mettre dans la peau flasque du journaliste, devenue la véritable coquille charnelle dont les poètes parlent et dans laquelle s’agite une orbite, une mémoire et une imagination.

Bauby a été réduit, littéralement, à être artiste, ce que le réalisateur transmet avec la grâce d’un grand. Il n’y a pas de miracles, juste un progrès qui procède de l’évitement – miraculeux celui-là – d’une mise en étapes souvent inévitable au cinéma biographique & qui aurait causé du tort.

Le scaphandre de Schabel parvient à être touchant et drôle, une combinaison vantée à répétition dans les succédanés de critiques qu’on trouve sur les affiches, sans avoir à toucher au moindre brin de poésie en-dehors de l’œil acéré de l’auteur – ce qu’il a écrit est-il si beau car son encre était de larmes ?

Virevoltant autour d’un Patrick Chesnais (en médecin des plus cyniques) et du duo d’Emmanuelle Seigner avec Marie-Josée Croze (osé-je dire que leur jeu est d’une précision chirurgicale ?), Amalric est couché, intubé, baveux, mais son éloquence dépasse la tessiture de sa voix off. Plus discret, c’est Von Sydow, pour la deuxième fois après Au seuil de la vie (et peut-être avec Dussolier dans Cortex), qui me refait reconsidérer mon préjugé sur les films d’hôpitaux.


5,75
4

Jeudi : Un Garibaldien au couvent

(Vittorio De Sica, 1942)

« Thématique : langue italienne »*

De Sica a commencé la réalisation à la quarantaine, son art déclenché durant la guerre. Il fuit le mussolinisme de la deuxième mondiale pour en chercher une plus ancienne : le Risorgimento, le berceau de l’Italie contemporaine.

Difficile pour lui de se débarrasser de l’arrière-goût de la guerre : dans son quatrième film, les balles à noir & blanc de sa pellicule ont pour cibles la bourgeoisie & la religion, qu’il ridicule dans un humour salvateur, même s’il doit à tout prix placer un combat final entre Garibaldiens & Bourbonniens qui se trouve déplacé. Il rit jaune d’un chasseur maladroit qui tire sur le chapeau d’une dame respectable : ”quelle idée de porter un oiseau sur la tête ?”, se défendra-t-il en se voyant accuser d’assassin, de fusilleur.

Scène du film Un garibaldien au couvent
On ne s’en rend pas compte avec le noir & blanc mais elles sont en train de broder le fil rouge.

La critique, l’odeur de poudre & la volonté de se changer les idées se mélangent dans le Garibaldien de De Sica alors qu’il tente de redorer le blason d’une Italie qui saigne. Tourné avec une énergie qui menace de partir en vrille, l’œuvre est une oscillation pamphlétaire assez jouissive quoique le réalisateur doive lever le pied à la mi-film pour éviter de déraper. ”Procédons dans l’ordre”, dit la vieille femme en relatant ses souvenirs, mettant un frein & un entr’acte à leur apparition sur notre écran.

Sombre & d’humeur jouette, De Sica tient à trouver toutes les variations aux conflits de bonnes familles : les romances courtoises & l’air hautain que les jeunes filles se rappellent tout juste d’afficher quand elles viennent de se montrer trop humaines, voilà ce qu’il faut attendre, entre quelques débordements de basse cour dans la haute cour que les personnages font les uns aux autres en s’autocongratulant.

Le film a l’étoffe d’être historiquement important. Il rate son coup mais il reste le plaisir de prises de becs traitées avec simplicité & dérision dans un contexte attrapé à la volée.


8,5
6

Vendredi : Le Visiteur du musée

(Constantin Lopouchanski, 1989)

« Thématique : langue russe »*

À la veille de la chute de l’URSS, Lopouchanski fait psalmodier ”laissez-moi sortir d’ici !” telle une prière à ses démons de figurants. Le monde est tombé, inondé, pollué : il ne reste plus que des monceaux de détritus & des bonnes volontés se résumant à la survie de l’âme, l’âme soviétique sans doute.

Ce n’est pas une surprise de découvrir que le réalisateur a assisté Tarkovski sur Stalker dix ans auparavant, car les deux œuvres sont connectées au point qu’elles pourraient figurer dans le même univers. Mélanger deux œuvres n’est pas dans mon habitude mais je me sens presque rassuré d’imaginer que c’est possible.

Viktor Mikhaylov dans Le Visiteur d'un musée
Il voit rouge (oui, elle était très facile).

Tourné en jaune & rouge, Le Visiteur du musée semble tapisser ses murs du sang de tous les disparus, comme s’ils alimentaient la psychose toujours plus gluante qui envahit les personnages jusqu’à faire ressembler les humains aux dégénérés qu’ils parquent dans des réserves quand ils ne s’en servent pas de serviteurs. À l’instar du Japon qui transforma la bombe en monstre, la Russie fait de son peuple, au plus fort des douleurs de l’accouchement, des zombies bien de chez elle.

L’œuvre transmet un grouillement humain & des contorsions presque obscènes de l’esprit malade qui mettent l’Homme à la place qui lui est réservée devant Dieu : insignifiant & arrogant. Dieu devient le ciel rouge & la mer morte – quoique la mer d’Aral était tout indiquée pour jouer ce rôle, mais je n’ai pas trouvé confirmation que ça y était tourné – & celui qui a le vrai pouvoir : celui de ne rien faire & de condamner par son absence l’Homme dans sa foi.

Tout est Stalker, y compris la longueur des plans & l’ennui, mais aussi la technique derrière les longs déplacements de caméra. Le musée qui est poursuivi n’a rien d’une rédemption : comme la marée qui l’abrite, il va & vient dans les espoirs & la lancinance, marque de fabrique d’un cinéma soviétique regretté.


6,5
6,5

Samedi : Le Prestige

(Christopher Nolan, 2006)

« Hors-thématique »*

Avant d’inceptionner nos cerveaux de spectateurs séduits, Nolan s’est bien entraîné ! Avec The Prestige, il va trifouiller dans l’Histoire de la prestidigitation & sort un Danton de son chapeau comme pour revivifier le souvenir de Houdini sous les noms d’Angier & Borden, alias Bale & Jackman. Tesla, par contre, est conservé, & l’habit va très bien à Bowie.

D’une voix off à un tribunal, d’un paysage aux coulisses, Nolan installe la non-linéarité très vite mais Caine est là pour nous bercer de son accent. La splendeur variable des salles de spectacle nous servira de guide dans ce montage compliqué où la magie prend place comme un art du spectacle brut & un business implacable liant les deux magiciens avant de les séparer dans un drame qu’on sent venir mais qui, par le raccourci de la narration, arrive vite & prend par surprise.

David Bowie, Hugh Jackman et Andy Serkis dans Le Prestige
Je vous dis que je ne suis pas conducteur ! D’ailleurs, je n’ai pas le permis.

Après cette ”pledge”, la première partie d’un tour à en croire Caine qui cite l’auteur du livre, vient le ”turn”, la moelle du film. Elle se donne pour but de nous faire trébucher sur les évènements forts pour les expliquer avant, pendant, après, bref : un mixage de l’émotion qui, comme son sujet, se trouve n’être qu’une illusion. Et ce concept est trop poussé à mon sens. On n’est jamais récompensé pour la frustration, toute légère qu’elle soit, que l’on ressent de ne pas connaître les secrets, mais surtout… de les connaître trop facilement. Ce qui est en anglais ”the art of deception” se traduit mal dans les images du prestige & gardent une littéralité dommageable, ”l’art de la déception”.

Tout ne tient pas qu’à l’absence de temps du passé dans les voix off : aussi bien Tesla concoctant ses potions électriques surnaturelles que les actes graves de haine & de sabotage qui restent longtemps sans conséquences, ça ne va pas très loin. Je ne parle pas de crimes impunis, ni du temps qu’il faut pour en arriver au ”prestige” du film lui-même (une fantastique cascade de rebondissements qui n’aurait pas pu exister sans des inconstances préalables), mais de personnages dont rien ne sert à fixer le charisme, ou des catchphrases qui n’enfoncent pas leurs racines très profondément dans l’âme de l’œuvre.

Je suis clairement parti avec trop de préjugés positifs à l’égard du film (on me l’avait beaucoup conseillé & j’adore Inception & Interstellar), mais cela aurait dû m’aider à m’accrocher à ce qu’il avait de bien. Je le reverrai, par crainte de n’y avoir, peut-être, pas regardé d’assez près (I didn’t watch closely), mais The Prestige ne m’a pas marqué au-delà d’un digne coup d’essai avant d’autres imbriquements plus époustouflants.


7
3

Dimanche : Yoyo

(Pierre Étaix, 1965)

« Thématique : Pierre Étaix »*

Chassez le naturel, il revient au galop comme une expression toute faite : pour son deuxième film, Étaix retournait déjà au cirque. Il fait le clown, mais c’est bien plus que ça : on le connaît principalement pour Yoyo car il y est un peu tout. Il était temps de reprendre sa filmographie dans l’ordre.

Il démarre en cinéma muet jusqu’à la crise économique de 1929 ; avec la guerre, c’est le seul évènement qui vient influer sur le cours de l’histoire de Yoyo. Et ce n’est pas rien de tout faire en fonction d’un genre éteint depuis si longtemps : intertitres et gros plans fixes ne font pas tout et les gags doivent être dimensionnés en fonction. Par contre, le film doit acquérir bien vite les traits d’une compilation, succession oiseuse de petits sketchs.

Pierre Étaix dans le film Yoyo
Sa facilité à passer d’un rôle à l’autre est aussi épatante qu’innovante… pour du muet.

Il y a quand même du bon à prendre de tous côtés : en clown ou en magnat, Étaix est drôle, ses moqueries un peu absurdes à la hauteur de son air égaré. Il est le digne secrétaire général du groucho-marxisme, et non content de déposer des petites pépites comiques comme un Grand Poucet heptartistique, il vise la transformation, la rétrospective.

Étaix, de bourgeois, devient père et clown. Quand le personnage s’efface, il se met à incarner le fils, Yoyo, qui lui ne rencontrera ni de crise économique ni de guerre. Il jouira de sa célébrité dans un cirque qui devient métaphorique, puis télévisuel, puis le déshérite. De ce questionnement sur la légitimité d’une vie, le clown fait rejaillir une thèse bien sérieuse, sans morale, où Étaix semble se juger lui-même sans sévérité ni encourager au vice.

Plus qu’un film mimé où se rencontrent Chaplin et les arts du chapiteau, c’est une comédie mal scénarisée et inconstante, mais c’est surtout sincère. Quand on a vu Le Soupirant et qu’on en a été un autre devant les affreux parents de Le Grand Amour, c’est un soulagement et un plaisir de voir quelque chose d’autre encore que cela ou le surréalisme sortir de l’esprit d’Étaix.


* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique. Plus de détails ici.

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