Cinébdo – 2019, N°7 (La Tour Sombre ; Closer, entre adultes consentants ; La Cible étoilée ; La Mort en sursis ; Ennemis intimes ; Houria)


Il a été difficile de s’enjailler cette semaine ; j’avais pourtant commencé par La Tour Sombre, mais ses promesses m’ont déçu, et ç’a été le chapeau de six jours de nanars, d’expériences ratées et de sombres œuvres méconnues que je n’ai pas vraiment envie de remettre en grâce. Heureusement, j’ai fini sur Le Salaire de la Peur, dont ma critique détaillée arrive bientôt !

Sommaire
La Tour Sombre (Nikolaj Arcel, 2017)
Closer, entre adultes consentants (Mike Nichols, 2004)
La Cible étoilée (John Hough, 1978)
La Mort en sursis (Umberto Lenzi, 1976)
Ennemis intimes (Werner Herzog, 1999)
Houria (Sid Ali Mazif, 1986)


Image d’en-tête : La Tour Sombre ; films 36 à 42 de 2019

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Lundi : La Tour Sombre

(Nikolaj Arcel, 2017)

« Hors-thématique »*

Idris Elba.

Dans la lignée d’un quintillion de productions navetiformes et des gros succès de Darabont ou de De Palma parmi les adaptations de King, La Tour sombre semblait avoir pour destin la binarité. Et le battage médiatique nous faisait plutôt attendre un résultat positif. Force est finalement de constater que c’est une vision à revoir : La Tour sombre est d’une médiocrité douce, d’un calme dans le ratage, d’une placidité même qui en fait un entredeux.

C’est lisse comme un roman de Rick Riordan. C’est un regard blasé qu’on pose sur les mondes et les dimensions entrecroisés, et un « Ah » monocorde qu’on éructe à la vision d’un design raplapla. Peut-être la lecture de King était-elle littérale ; je n’ai pas lu La Tour sombre mais je connais bien l’auteur et je reconnais le rôle qu’il donne aux enfants et à la rédemption (en bon Américain) qu’on a comprimé dans le moule des gamins hollywoodiens, des enfants trop grands, des mioches de cinoche que Tom Taylor incarne bien sagement. On compte sur ses larmes pour donner de la consistance au climax émotionnel, particulièrement dur en théorie mais molasson dans les faits.

Rien ne ressort de mémorable, à part quelques paysages et la prestance de McConnaughey, mais la faiblesse cathartique est hors de contrôle ; suis-je le seul à trouver que les méchants dépassent les limites du tolérable en matière de réchauffé, qu’ils ne ressemblent à rien sous la houlette dark-vadorienne de McConnaughey et leurs faux faux airs d’humains ? C’est de la paresseception de créativité, tout ça.

On à affaire à un d’Inferno (Ron Howard, 2016) pour l’ambiance, une touche de The Road (John Hillcoat, 2009) pour relever le ton, et une sorte de Last Action Hero (John McTiernan, 1993) aux manettes d’Idris Elba, toujours prêt à lancer une punchline d’un ton froid et les paupières plissées. Punchlines servant à la concoction d’un effet comique qui s’étrangle tout seul quand elle le font parler chez nous sur Terre, où il découvre ce qu’est un soda ou un hôpital (par contre, il savait ce qu’était une bouteille de gaz puisque qu’il s’en sert pour tuer trois de ses quinze quintillions de victimes).

Conclusion : le syndrome de Super 8 (J.J. Abrams, 2011), un film qui croit tout refaire alors qu’il ne fait rien, qui pense rompre le quatrième mur quand il les consolide tous à la fois. Du petit lait pour McConnaughey, du lait tourné pour nous.


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Mardi : Closer, entre adultes consentants

(Mike Nichols, 2004)

« Thématique : Julia Roberts »*

Jude Law & Natalie Portman.

Des intrigues amoureuses inextricables : c’est ce qu’offrait la pièce de Patrick Marber. Il est facile d’imaginer que des trahisons à n’en plus finir, pimentées par l’acoquinement du langage et des mœurs, fussent le délice des salles obscures sans écran. Mais l’intrigant est devenu intriqué sous la main de Mike Nichols, qui fût responsable d’avoir donné un premier rôle magnifique à Dustin Hoffman en 1967 avec Le Lauréat.

Recherchant quelque vérité aux seins de l’amour et du sexe, tournant autour du pot avec les questions agressives de Clive Owen dont les piques sont aussi frigantes qu’empâtées dans les tics de langage du dialoguiste (Marber aussi), le film a pour titre Closer mais s’éloigne de son sujet par la force trop grande de ses efforts. Ils lui accordent le mérite de l’originalité, et les méandres scénaristiques n’ont pas pour seul effet de créer une ambiance claustrophile et interlope puisqu’ils nous donnent droit à un paquet de répliques et de situations qui font hausser le sourcil.

MAIS (dit-il enfin) il y a beaucoup trop de violence dans les sauts dans le temps ou les vides laissés par des transitions d’une épaisseur de papier à cigarette. Dommage, il y avait de quoi explorer la douceur un peu plus avant, derrière les longs focus émotifs où les aveux soutirés, mais l’œuvre ne s’est pas révélée autre chose, pour moi, qu’une vidange crasse de tabous auxquels la plume de Marber n’a su trouver un vocabulaire vraiment riche ni adapter proprement les languissements de la scène aux soupirs de l’écran. C’est dérangeant, c’est épais, c’est bizarre. Heureusement que Portman et Roberts assument pleinement leur rôle dans ce chassé-croisé absurde.


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Mercredi : La Cible étoilée

(John Hough, 1978)

« Thématique : Max von Sydow »*

George Kennedy.

La période espionnageophile qui précéda le lifting de James Bond n’en avait pas fini avec Von Sydow, qu’elle rappelle à elle pour cet ersatz d’histoire vraie passée à travers les grilles hypothétiques d’un thriller et sa scénarisation.

Tenant absolument à élever l’enquête au rang de la police militaire – estimant peut-être que la confrontation des deux mondes serait naturellement synonyme de plus de frissons -, le film arbore des répliques rendues puissantes par la carure de leurs énonciateurs. Il fallait bien ça, car elles ne servent guère que d’explications ou de remplissage ; du labyrinthe kafkaïen d’une investigation abracadabrante, on tombe très vite dans l’exclamation de substantifs niaiseux qui ne convainquent pas de l’utilité de leur existence.

On ne sortira pas l’excuse de l’émancipation artistique ; rien de nouveau dans l’idée, les codes employés sont aussi aisément déchiffrables que ceux dont le bon factotum policier avait la tâche dans le film. Trop politisé pour se rendre compte qu’il perd totalement de vue son sujet – quelque or volé –, Brass Target volette paresseusement de digression distrayante en approfondissement des caractères.

Il arrive au moins à donner un certain mouvement, une certaine épaisseur aux photos typiques qu’on étale sur le bureau de l’inspecteur ou du criminel. Mais aucun génie dans la recherche de l’exotisme chez les paysages suisso-allemands, ni vraiment d’intérêt dans une histoire qui cherche des « rallongis » pour arriver à des meurtres inévitables, qu’on connaît déjà comme si on était un prescient de Minority Report. Voilà d’ailleurs un anachronisme d’une piètreté comparable au film.


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Jeudi : La Mort en sursis

(Umberto Lenzi, 1976)

« Thématique : langue italienne »*

Tomás Milián.

Il y a pas mal d’américanophilie chez Umberto Lenzi, mais peut-être doit-on cela à son scénariste, Umerto Lenzi. Blague à part, ce n’est pas tous les jours qu’un générique présente une si belle coquille.

Pas d’erreur cependant dans l’introduction : ce sont bien les paysages d’un vaccaro solitario. Illusion d’une Amérique bien lointaine ; c’est en Italie que se passent les courses-poursuites (et que se cassent les bourses pour suite), plagiat innocent des États-Unis dont on s’inspire.

Faire aller des voitures si vite (par accélération de l’image, pas des autos !), modulo la casse, a le grand avantage de nous faire voir du pays et de rentabiliser un tournage assez mobile, même si ça décrédibilise les décors fixes. Question de mouvement, il savaient d’ailleurs y faire, chez Lenzi : sacrées pirouettes que celles des tués par balles, des sorties de scène aussi acrobatiques que ridicules qui tentent de faire la part belle aux douilles qui volent. À ne pas confondre avec les andouilles qui volent, autres protagonistes d’avant-plan dans cette œuvre d’immoralité crasse qui fonce nez dans le guidon à partir du moment où ses bases sont posées.

Clairement, il ne faut pas trop réfléchir au visionnage. Dussions-nous tenter de rationaliser chaque mort pendant seulement 10 secondes qu’on passerait à côté de tout le film. Car il a un intérêt tout de même : il dépasse la cohabitation des crapules et des policiers et s’offre une vue panoramique sur la plus totale ambiguïté de leurs différences. On s’attache au truand, on méprise presque le gardien de la paix, et l’on se retrouve sans antagonistes, avec pour seule cible à notre haine les différends humains entre ces différents humains.

Ce n’est pas la plus belle production parmi les thrillers italiens. Le traitement est violent et décérébré et n’offre aucune échappatoire aux crimes qu’il dépeint si vaillament. Sa face cachée est un peu trop discrète, mais heureusement un peu plus subtile.


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Vendredi : Ennemis intimes 

(Werner Herzog, 1999)

« Thématique : Werner Herzog »*

Werner Herzog & Klaus Kinski.

Il manque un petit quelque chose à ce documentaire d’Herzog sur lui-même et son « cher ennemi », l’acteur total et redouté, Klaus Kinski. Reliquat nostalgique d’une amitié tumultueuse (l’euphémisme en est ridicule) qui sort un peu moins d’une décennie après la mort de l’énergumène, Mein Liebster Feind circonvolue méchamment. Au moins ne prétend-il pas aller plus loin que sa vocation ; Herzog + Kinski est une équation trompeuse, la formule d’un métal hautement cinéactif dont la somme est bien inférieure aux deux sacrés numéros pris à part.

À coup de témoins-choc (ce qui l’inclue lui-même), Herzog retrace les contours d’une silhouette, un fantôme de Kinski qu’on ne connaît qu’à travers leur filmographie commune. Résultat immanquable : le film gravite autour de points importants, et quoique la façon fût honnête, on n’en ressort pas plus instruit qu’après le visionnage de leurs cinq films. J’ai ressenti le documentaire comme l’exorcisme fait par Herzog d’une relation d’où ont émergé trop de variétés de regrets, mais pas comme quelque chose qui venait vraiment du cœur.


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Samedi : Houria

(Sid Ali Mazif, 1986)

« Thématique : langues du monde »*

 

 

On fait tout un foin de la culture ; la place de la femme en Algérie faisait, et fait partie de la culture. Mais un film qui le dénonce fait aussi partie de la culture. Alors qu’est-ce au juste ? Il faut vraiment resserrer le regard pour s’ouvrir l’esprit et remarquer que chez Houria, dans une Alger (tournée à Constantine) à laquelle la France a tout pris et tout donné, il y a toujours la critique et le quotidien, la culture et l’émotion. Si les mots « haut-parleur » ou « excursion » sont pris sans accent, c’est leur origine qui est accentuée, une guerre à moitié tue (et qui a moitié tue), précipitant la perle algérienne du collier arabe dans le besoin qu’elle connaît encore aujourd’hui.

Mais à vouloir que les moyens de traitement aient part égale, c’est tout le scénario qui se fragmente. Des petites tranches de vie qui ont du mal à composer une vie entière, que le titre, pourtant, revendique et annonce. La forte inconstance involontaire de la lumière est là pour nous appeler à l’indulgence, mais pas « moyen » : attachés aux caméras ou au papier, les artistes n’ont pas produit la parfaite illusion qu’un film peut être une sous-culture à lui tout seul. À l’exception – si notable qu’elle me servira de conclusion – que la musique est épatante.


Dimanche : Le Salaire de la Peur

(Henri-Georges Clouzot, 195.)

« Hors-thématique »*

 

 

 

Critique détaillée à venir !


* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique.  Plus de détails ici.

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princecranoir

Je pensais qu’Herzog aurait droit à un traitement de faveur, mais je constate à regrets qu’ici nulle pitié pour les grands auteurs. Soit.
Visiblement Clouzot s’en sort in extremis, malgré son explosif chargement. J’attends avec curiosité l’article qui le mettra à l’honneur.

Eowyn Cwper

Ce sont les autres qui font les grands auteurs ; la pitié n’entre pas en ligne de compte. J’ai vu tous les films de cinéma d’Herzog sauf un ; j’aime globalement son travail, mais je dois bien admettre que ce documentaire ne m’a pas convaincu. Par contre, ne t’en fais pas, Clouzot, je l’encense ! Oups, j’ai spwalé.

princecranoir

J’entends bien, j’entends bien, instructif tout de même faute d’être un film majeur.
Dans le cas du Salaire, normal que ça fuite à un moment donné. 😉

[…] bien simple, c’est Closer en français, avec le même couple pas si bien joué où un élément perturbateur (ici Béart) […]

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