Comment choisir la langue qu’on veut apprendre ?


Parfois, quand on doit choisir quelle langue apprendre, on doute, on hésite. À moins d’avoir la passion des langues ou un objectif précis, ce peut être difficile d’être sûr de soi. Alors j’ai listé pour vous quelques manières de faire le tri, héritées de ma propre expérience.


L’esthétique

À l’oral, théoriquement

L’esthétique à l’oral constitue évidemment un des critères principaux dans notre appréciation d’une langue. Mais j’ai mis longtemps à me rendre compte d’une évidence : il y a la théorie et la pratique (elles sont partout, celles-là 😀 ).

La théorie d’une langue à l’oral, c’est la façon dont on l’apprend, la façon dont des natifs vont vous adresser la parole – s’ils prennent la peine –, lentement et de manière compréhensible.

J’apprends les langues en passant par la transcription phonétique (une méthode marginale), et cela reflète un peu la théorie de l’oral.

J’aurais tendance à vous conseiller de vous méfier des premières impressions ; les tons de voix appliqués des cours audio, les mots prononcés dans le Wiktionnaire, ou même les voix off dans les films avec leur diction impeccable… tout cela est trompeur. Vous n’allez pas parler la langue (et encore moins l’entendre parler) dans son habillage théorique.

Mes langues préférées selon l’oral théorique : l’islandais, le gallois, le hongrois, le hindi, le basque, le polonais.

À l’oral, en réalité

Pour vraiment juger de si l’on aime une langue à l’oral, je crois qu’il est fondamental de l’entendre parler familièrement. La musique ne compte pas à mon sens, car le chant déforme souvent la prononciation. Les films, c’est encore un peu juste ; selon le genre, la diction peut être appliquée, et ne sera pas le reflet d’une conversation telle qu’elle serait tenue en réalité dans un pays locuteur.

Pour se faire une idée du vrai look oral d’une langue, je conseille les chaînes YouTube ou la télévision, ou des genres cinématographiques précis comme le drame ou le documentaire (dans certains cas). Si vous connaissez un natif avec qui discuter, c’est super. Si vous vivez dans un pays locuteur… vous n’aviez pas besoin de lire ce paragraphe !

Je ne prétends pas que l’oral pratique est supérieur à l’oral théorique (même si je le trouve supérieur du fait que c’est ce qui nous intéresse pour des conversations réelles). Je veux dire que si la langue vous accroche pour ce que vous en avez entendu, allez-y ! Si vous recherchez le plaisir de la première impression, cela peut se justifier, du moment que vous avez conscience que ce n’est pas forcément comme cela que la langue fonctionne.

Mes langues préférées selon l’oral pratique : le russe, le grec moderne, l’allemand, le danois.

À l’écrit

Tout dépend de votre sens de l’esthétique, mais l’écriture d’une langue compte beaucoup dans mon affection pour elle. Il n’y a pas de mystère ici ; recherchez des textes, voyez si vous aimez voir la langue écrite, ou l’écrire par vous-même.

Mes langues préférées à l’écrit : le mongol traditionnel ( 👍 ), l’islandais.

La rudesse

La rudesse d’une langue est un caractère qui n’est absolument pas scientifique. Il n’est pas tangible et encore moins mesurable. Pourtant, le monde s’accorde pour dire que l’allemand est une langue rude, et l’italien non. C’est un peu le pivot de l’esthétique d’une langue et je crois que vous devriez lui laisser une place dans votre esprit ; peut-être sera-ce un critère décisif.

Des exemples de langues « rudes » :

  • l’allemand ;
  • le néerlandais ;
  • le polonais ;
  • les langues scandinaves ;
  • les autres langues slaves.

Des exemples de langues « douces » :

  • le finnois ;
  • l’italien ;
  • l’anglais ;
  • l’estonien ;
  • les langues baltes (lituanien, letton).

D’autres langues semblent trouver un équilibre :

  • les langues turques semblent ne pas faire de choix ;
  • le russe paraît avoir pris 100% de consonnes rudes et 100% de voyelles douces ;
  • le hindi est très euphonique mais tout de même riche en consonnes.

L’attrait de la logique

Ce n’est malheureusement pas une facette de la langue dont on s’aperçoit avant d’y avoir déjà plongé profondément, mais chaque langue jette un regard fondamentalement différent sur les choses.

  • Le français est une langue imagée, à rallonges, plus poétique que technique. La richesse ne se trouve pas dans son vocabulaire courant, mais elle est là si on creuse un peu.
  • L’anglais est une langue qui a tiré le meilleur de sa base germanique, ayant rendu son vocabulaire courant très riche et concis, tout en bénéficiant de l’apport franco-latin comme une plus-value de son expressivité et de sa diversité. C’est une langue qui ne s’adresse pas directement au poète ni au scientifique, mais dont le potentiel technique est un formidable compromis justifiant qu’elle soit la langue internationale à mes yeux.
  • L’allemand est une langue efficace, logique, mais imagée aussi.
  • L’espagnol est une langue très consciente de la forme que doit adopter le langage pour être fidèle à son potentiel sans s’adonner aux irrégularités ou aux contresens. C’est une langue spontanée, polie par une ingéniérie lucide.

C’est comme ça que je vois les quatre langues que je connais le mieux (en taisant leurs défauts !), mais c’est à vous de voir quelle logique vous convient. J’ignore la nature du regard que jette le japonais, le coréen, le russe, le portugais… À découvrir.


La propédeutique

J’en ai déjà parlé ici : la propédeutique est l’apprentissage préparatoire, celui qui ouvre spontanément des portes sur la compréhension d’un savoir plus lointain. Savoir le français ouvre par exemple des portes sur les autres langues romanes (portugais, espagnol, italien, roumain…).

Personnellement, j’apprends des langues variées où la propédeutique ne joue pas un très grand rôle : le russe et le grec sont tout seuls dans leur coin (et le grec ne m’ouvre pas de portes, contrairement au russe qui me permet de comprendre des bribes d’autres langues slaves).

L’apprentissage de l’allemand et du suédois m’est facilité par ma connaissance de l’anglais. Apprendre une langue scandinave comme le suédois ouvre une grande porte sur les langues scandinaves qui sont très proches entre elles (suédois, norvégien, danois, et islandais et féroïen dans une moindre mesure).

L’apprentissage du turc m’est très difficile car aucune porte ne donne dessus. Il m’ouvre par contre une porte très inattendue sur l’arabe et le persan à cause des similarités de vocabulaire.

En bref, vous pouvez vous servir de la propédeutique pour apprendre des langues supplémentaires « indirectement ». Apprenez l’italien pour apprendre indirectement l’espagnol et le portugais, le danois pour le suédois et le norvégien, le tchèque pour le polonais et le slovaque, le mandarin pour le cantonais etc.


La facilité d’apprentissage

J’en ai déjà largement parlé avec mes articles « Les langues les plus faciles pour un francophone » et « Comment mesurer la difficulté des langues ? » : une langue peut être facile ou difficile si l’on prend pour repère sa langue maternelle.

Dans le cas de cet article, je prends pour acquis que le français est votre langue maternelle, mais cela fonctionne aussi si vous le connaissez « simplement » très bien.

Si la facilité d’apprentissage est votre critère premier, je n’ai qu’à reprendre la liste de l’article précité pour vous dire quelles langues vous feriez mieux d’apprendre :

  1. l’italien ;
  2. l’espagnol ;
  3. l’anglais ;
  4. le portugais ;
  5. le roumain ;
  6. le néerlandais ;
  7. l’allemand ;
  8. les langues scandinaves.

Attention toutefois, il y a un léger revers à vouloir prendre une langue théoriquement facile d’apprentissage. Paradoxalement, elles peuvent être plus difficiles à mémoriser. Je m’en suis rendu compte au début de mon apprentissage de l’espagnol : je comprenais les mots, et par conséquent je ne les apprenais pas. J’ai dû faire un effort un peu plus conscient pour vraiment franchir le pas.


L’accès aux ressources

Malheureusement, toutes les langues ne sont pas aussi accessibles que l’anglais. Apprendre le roumain ou le grec moderne, c’est déjà une expérience qui peut se confronter à la rareté des ressources.

Si vous hésitez entre deux langues rares, je serais d’avis de choisir la langue la plus accessible (le gallois plutôt que le breton, l’indonésien plutôt que le hawaïen etc), à moins que vous ne vouliez être un éternel outsider qui connaît des bribes de gallo, de navajo et de rapanui. \o/ Souvent, l’accès aux langues rares est plus facile par la voie du papier que par celle de l’écran (et encore, je m’en sors avec un livre de grec moderne pour touristes…).


La pratique

Comment allez-vous pratiquer la langue ? Est-ce par passion ? Ou voulez-vous la maîtriser à l’écrit, à l’oral, ou les deux ? Si vous comptez déménager au Japon et que vous aimez le japonais, vous n’êtes sûrement pas en train de lire mon article. Si ? Allez révisez vos kanjis, vous.

La façon dont vous voulez pratiquer la langue devrait vous éclairer sur les aspects de mon article qui comptent le plus pour vous.


La culture

La culture peut jouer un rôle dans l’attrait de la langue. C’est mon cas dans une moindre mesure ; généralement, ma passion est purement linguistique. Et si la culture joue effectivement un rôle pour vous, je ne pense pas que mon article vous apprendra grand chose.

Si j’en parle en conclusion de l’article, c’est parce que la culture peut jouer un rôle d’arbitre, étant relativement extérieure au langage lui-même. Si vous avez encore un doute en ayant considéré les autres points que j’ai soulevés, demandez-vous si vous avez envie de partager la langue d’un certain peuple, d’une certaine vision de l’art ou de la vie.


J’espère que cette petite liste vous aura été utile. N’hésitez pas à partager les critères que vous utiliseriez en commentaire ou à partager vos impressions avec les autres lecteurs.

Bonne internavigation à vous !

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Siddhartha Burgundiae

Article sympathique ! Pour ma part, la question du «savoir choisir» ne s’est jamais posée, l’intérêt a toujours joué (curiosité pour l’allemand, esthétique pour le russe), mais ajd, je dirais que 98% de mon intérêt pour une langue viendrait des populations et la culture qui y sont rattachées. Par exemple, je suis en théorie intéressé par les langues scandinaves (d’autant que ma formation de base, c’est une langue germanique) mais étant donné que la culture rattachée ne me passionne pas le moins du monde, je sais que ne les apprendrai jamais. À l’inverse, je trouve que le sanskrit est une langue pas forcément jolie à entendre (vive les consonnes aspirées et les schwa des « a » courts), et assez complexe, mais comme les philosophies indiennes me passionnent, j’ai appris quand même pas mal de mots, et c’est avec plaisir que je consulte une entrée de dictionnaire, que je découvre une locution ou que je vois quelques déclinaisons.

Après, sans parler des cas d’obligations (professionnelles, etc) pour le choix en milieu scolaire, la «facilité» de la langue par rapport au français est quasiment le seul critère, encore que j’aie eu pas mal de camarades qui pensaient que l’italien ou l’espagnol c’était comme le français mais avec des -a et des -o à la fin… Et qui se sont retrouvés en difficulté après quelques années à étudier ces matières…

Eowyn Cwper

Comme d’habitude, merci pour ton précieux partage ! Je suis content de voir que ce que j’ai jugé moi-même comme des critères importants ne se voit pas contredit par un spécialiste (tatata, on ne répond rien).

Pour du « français avec des -o et des -a », voir l’occitan ou le catalan. 😀

princecranoir

Comment tu brises un rêve ! Moi qui croyais pouvoir me fondre dans le bayou après une saison de True Detective en VO. 😢

Eowyn Cwper

Navré !

Aurelien

Bonjour. Essayez d’écouter des Lieder de Richard Strauss par Edita Gruberova, vous verrez que l’allemand peut sonner « mignon ». J’aime bien votre blog, j’apprends l’allemand depuis longtemps (je détestais à l’école me lever le matin pour en faire, et maintenant que j’ai du temps libre je m’y mets calmement un peu tous les jours, j’avais fait avec la méthode « assimil perfectionnement » qui m’a beaucoup intéressé). Je m’intéresse aux caractères chinois car je trouve ça très beau, souvenir d’enfance de l’album de Tintin « Le lotus bleu », qu’est ce que c’est beau et qu’est ce que c’est exotique l’écriture chinoise, et d’en tracer, de les mémoriser ça doit faire fonctionner le cerveau, c’est aussi riche en associations d’idées (exemple : pour « amusement » on associe le caractère « roi »‘ au caractère « monnaie », pour « bonté » on associe le caractère « femme » au caractère « enfant ».
Votre blog est intéressant, et vous devez être quelqu’un d’intéressant.
https://www.youtube.com/watch?v=MUFnAIWaFZg

Eowyn Cwper

Merci pour votre retour !

Effectivement, le chant change tout. Je faisais d’ailleurs déjà confiance à Nena pour renouveller les idées sur la prononciation de l’allemand.

Il est vrai aussi que le chinois a des phénomènes d’étymologie graphique que je ne me lasse pas de consulter sur le Wiktionnaire, faute d’apprendre la langue.

J’espère vous revoir en commentaire pour des échanges synonymes d’un égal enrichissement. 🙂

Cordialement,
Ywan

Eowyn Cwper

(J’ajouterai que la performance de Gruberova, que j’ai regardée entière, est totalement épatante. Merci !)

Aurelien

Content que ça vous ait plu. Si je me suis mis à l’allemand c’est aussi parce que je m’intéressais à la musique classique, dans ce domaine les langues majeures sont l’italien et l’allemand, comme j’avais des notions d’allemand apprises à l’école j’ai choisi l’allemand.

Je vous mets une vidéo d’un autre passage en « allemand mignon », c’est le « Waldvogel » (oiseau de la forêt) de l’opéra « Siegfried » de Richard Wagner https://www.youtube.com/watch?v=eyyEvNQiNJU

Ce genre de passage mignon est rare dans l’opéra allemand, souvent ce sont des choses plus dures, un exemple extrême dans l’opéra « Salome » de Richard Strauss https://www.youtube.com/watch?v=mJiFHv70WPo

Je ne parle pas italien mais il y a un passage de « La Traviata » de Verdi qui fait je trouve ressortir toute la beauté de cette langue https://www.youtube.com/watch?v=bGUzY74TtfU

Merci bien !

Eowyn Cwper

Je regarderai ça, merci !

Guillaume

J’apprends le turc à l’université ce semestre. C’est d’une beauté !

Je choisis toujours grâce à la musique . Mes favorites sont :
Allemand / Turc / Portugais / Slovaque / Slovène / Ukrainien / Russe / Azéri / Albanais / Lituanien / Finnois / Hongrois / Suédois et les autres langues slaves. Hébreu et Persan non déplaisant.

Pour l’écrit : Islandais / Grec / Turc / Allemand / Slovaque / Lituanien / Portugais

Le plus simple c’est de dire ce qui ne me plaît pas trop …
Le Zoulou / Néerlandais / Afrikaans / Italien (pour l’écrit) / Hindi (pour l’écrit) et les langues telles que le coréen, japonais ou chinois ne m’attirent pas. Bien que j’apprécie la musique chinoise plus que les deux autres.

Si jamais ça tu es intéressé pour écouter de la musique, fais moi signe !
J’étudie la littérature mais j’ai toujours du temps pour mes loisirs.

Eowyn Cwper

J’apprends activement le turc en ce moment également. C’est la logique de cette langue qui m’ébourriffe.

Il y a peu de langues que je n’aime pas, mais j’ai horreur des sonorités du portugais et je trouve la phonologie des langues austronésiennes ennuyeuses.

Merci pour ton passage, en tout cas !

Guillaume

Il est presque plus facile pour moi d’écouter du portugais que de l’espagnol. J’ai presque envie de l’étudier!
Chanter en turc est pour moi une vraie passion même si je chante dans beaucoup de langues différentes.
C’est en effet une langue logique mais ce n’est pas tellement ce que je recherche ne l’étant pas vraiment. Je navigue entre l’allemand (je vis en Allemagne), le slovaque, le turc et l’espagnol à l’Université.
Sinon le lituanien/finnois/ukrainien/slovène sont celles que j’aime beaucoup en ce moment.

Je suis du même avis pour les langues austronésiennes. A la rigueur, le Tagalog est audible. Mais le caractère écrit est important et celui-ci n’est pas tellement attrayant dans ce genre de langues…

J’ai le même âge que toi, que comptes-tu faire comme métier exactement?
Content de voir que je ne suis pas le seul à créer quelque chose. Je parle une langue qui n’existe pas mais je trouve ça assez étrange de temps à autres. Dans ma langue on roule le R de façon excessive, j’adore ça.
C’est une langue qui a des similitudes avec les langues slaves voilà pourquoi c’est assez simple pour moi de les apprendre.

Bonne Continuation à toi!

Eowyn Cwper

Ah, créer des langues… J’en ferais mon métier si David Peterson ne s’accaparait pas la niche ! Sinon, probablement écrivain ou traducteur… Ou bloggeur, si QA continue de grandir !

Rukmal

Un article vraiment très intéressant ! Merci beaucoup !

Eowyn Cwper

Merci à toi !!

[…] → Voir aussi mon article ”Comment choisir la langue qu’on veut apprendre”. […]

Sagnamadr

Merci pour cet article, très intéressant comme tant d’autres ! En y réfléchissant, il me semble qu’une langue qui répond à presque tous les critères cités (esthétique, logique, facilité d’apprentissage et d’accès, mais surtout la propédeutique !) est l’espéranto… À défaut de faire une plaidoirie digne de Jules Verne, je dirai juste qu’au-delà de l’aisance avec laquelle on l’apprend, cette langue me semble esthétique tant à l’écrit qu’à l’oral, par ses sonorités mêlant langues slaves et romanes… Chacun ses goûts après tout, mais si vous voulez une langue à la fois agréable, simple, et vous permettant de développer vos capacités en langues, la réponse est toute trouvée 😁

nemo

Plutôt que de parler d’esthétique, je parlerais de musique.
Et parmi les langues que je connais, je dirais que
• l’italien se chante
• le français se parle
• l’allemand s’aboie (et il est aussi parfaitement adapté au dressage du berger éponyme)
• le luxembourgeois se vomit (pour s’en convaincre il suffit d’entendre prononcer « Lëtzebuerg » par un Luxembourgeois)

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