Cinébdo – 2018, N°37 (La Lune dans le caniveau, The Player, La Lettre du Kremlin, La Route, Pirates du XXe siècle, Le Capitan)


Ce format consiste en une compilation de mes critiques sur les films que j’ai vus dans la semaine.

Sommaire cliquable
La Lune dans le caniveau (Jean-Jacques Beineix, 1983)
The Player (Robert Altman, 1998)
La Lettre du Kremlin (John Huston, 1970)
La Route (John Hillcoat, 2009)
Pirates du XXe siècle (Boris Dourov, 1979)
Les Pink Floyd live à Pompéi (Adrian Maben, 1972)
Le Capitan (André Hunebelle, 1960)


(J’écris par passion de l’écriture et de mes sujets, mais c’est encore mieux d’avoir l’impression de ne pas être seul. Si vous aimez cet article, cliquez sur le bouton « j’aime », laissez un commentaire, voire partagez si vous en avez envie. Sinon, vous pouvez juste lire, c’est bien aussi. Merci beaucoup !)


Image d’en-tête : La Route ; films 218 à 224 de 2018

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Lundi : La Lune dans le caniveau

(Jean-Jacques Beineix, 1983)

« Thématique : Gérard Depardieu »*

Les films psychédéliques français ne se courent pas vraiment les uns à la suite des autres, mais je ne m’attendais pas à découvrir le genre avec Depardieu. Un peu giallo et beaucoup blade-runnerien, le « film dans le caniveau » comme le décrit un Depardieu mécontent, tient pourtant beaucoup à son acteur principal : cheveux courts et T-shirt, adieu les tics de langage et l’accent, voici notre bon franchouillard campé parfaitement dans les rues néo-noires de la création de Beineix. La créativité est de mise pour engendrer le magnifique bazar de cette œuvre aux couleurs tranchées et aux images rutilantes d’une réflexion bien huilée.

Tout le film est une poésie noire rythmée par une musique possédée comme par une fièvre divine (que je sois damné par contre si je n’ai pas fait là une métaphore involontaire de la psychédélie), en tous points semblable à l’image d’introduction, les pas sur un trottoir humide et la tension qui monte. Et l’on se laisse entraîner dans ce monde qui apparaît aussi petit que la ville de Dark City (Alex Proyas, 1998) où se délient des abominations à peine conscientes d’elles-mêmes, gourmandes d’une lumière qui ne semble exister qu’au soleil couchant, quand elle rappelle celle du sang versé. Dans son irréalisme, le caniveau est d’une crédibilité indémontable, et ce grâce à des acteurs compétents, même s’il est difficile de croire qu’ils avaient la moindre notion de ce qu’ils tournaient. On se laisse embarquer… Mais où est le propos ? Quel sens ces images travaillées contiennent-elles, qu’est-ce que la figuration de Natassja Kinski devrait nous révéler ? Le fantôme de son père, hantant le château fou qui se tient à l’écart des docks, éternellement en bordure d’orage ? J’ai beau laisser le lyrisme à la fois jaune et noir envahir mes lignes, il demeure aussi sombre que ses couleurs.


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Mardi : The Player

(Robert Altman, 1998)

« Thématique : Julia Roberts»*

Fascinante ouverture. Le plan séquence d’entrée en matière nous prend de court avec sa longueur : huit minutes. De quoi simuler Hollywood et son effervescence… Mais était-ce utile ? Tout le film est une introspection d’esprits de stars par des esprits de stars, et j’ai trouvé difficile de trouver illuminante cette représentation du cinéma commercial, soit-elle pleine d’autodérision. Les remarques sont justes : Hollywood est normé, ne donne que dans le happy end, et mène la vie dure aux auteurs ; c’est d’autant plus agréable à entendre que The Player ne rentre pas dans les petites cases, et qu’il est tellement plein de caméos qu’il regroupe plus d’oscarisés que n’importe quel autre film. Mais quelle est sa position au juste ? L’autodérision n’est pas le sujet ni l’objet du film, qui est avant tout une œuvre de divertissement indissemblable de ceux qu’il critique, l’originalité et le casting mis à part.

Bien qu’il patisse à s’affirmer, The Player a au moins le mérite d’avoir une histoire. Aucun acteur ne se détache vraiment – sûrement ont-ils du mal à faire la part des choses entre la vraie vie et leurs personnages – , mais l’interprétation de Tim Robbins est décente dans son rôle de producteur exécutif ; son emploi du temps est bien rempli à l’écran, preuve que les gens derrière se sont impliqués pour faire, indirectement, un film sur le cinéma. C’est de sa bouche que sortiront les ingrédients d’un bon film : happy end, violence, espoir, sexe. Ce qui me laisse à penser que The Player sait où il va, c’est que ces ingrédients sont tous présents dedans, mais avec les doses minimales. C’est ce qui me vaut de trancher en sa faveur, même si le scénario tourne légèrement en rond et que le gigantisme du casting ne trouve pas forcément son sens (je pense notamment à Whoopi Goldberg, dont la crédibilité et le charisme n’empêchent pas que son rôle n’a absolument pas sa place). Une œuvre qui vaudrait vraiment le coup d’être vue si elle avait été conçue avec un peu moins d’ambition.


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Mercredi : La Lettre du Kremlin 

(John Huston, 1970)

« Thématique : Max Von Sydow »*

Oh, un contrepied à James Bond. Un film d’espionnage bien coincé dans son époque qui préfère se baser sur le texte que sur l’action, sur la sériosité que sur l’autodérision BCBG, et sur un script compliqué à l’extrême sans nécessité aucune. Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas ramé à ce point ; pour être parfaitement honnête, je n’ai rien compris. Les noms de code virevoltent au rythme d’une gigue globe-trottante insoutenable, et les langues suivent à peine le rythme avec la gestion outrancière qui leur échoit, à savoir le semi-doublage à la slave (doubleur en voix off) à qui les personnages substituent rapidement la langue anglaise pour ne pas plonger le spectateur dans la confusion.

Mais il y a un problème : le spectateur ne comprend déjà plus rien de toute manière, et cette petite attention ne fera que l’enrager un peu plus contre cet ersatz de film d’espionnage alimenté comme un avion en plein vol par les clichés qui faisaient les choux gras d’Hollywood en ce temps où Von Sydow se mettait au cinéma anglophone : les espions, tout le monde sait que ce sont des gens qui vivent une vie dangereuse, où le meurtre et la trahison sont présents à chaque coin de rue !

Bref, il n’y a pas grand chose à retirer de cette œuvre qui fait peu vaillamment passer la petite Helsinki pour une grande Moscou et où les tentatives de mises en abyme se résument à ensevelir les protagonistes sous une paperasse bavarde et soporifique.


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Jeudi : La Route

(John Hillcoat, 2009)

« Hors-thématique »*

La Route est un ascète : son scénario est court, il n’y a ni rebondissements ni un casting immense, et il ne donne rien à se mettre sous la dent aux gens qui font l’amalgame entre « post-apocalyptique » et « SF ». Et puis surtout, il n’invente absolument rien : un père et son fils qui luttent pour leur survie dans un monde devenu hostile, ça ne fait même pas figure de variation dans le genre. Les procédés utilisés pour rythmer l’histoire sont également stéréotypiques : il y a des méchants qui attaquent les gentils, et le gamin finira par se rebeller contre la vision un peu trop enracinée de son père de la « gentillesse ».

Pour apprécier ce film, il faut s’attacher à ses trois qualités.

1. D’abord, c’est une merveille de photographie. Le réalisateur a pris à cœur de créer une atmosphère assez glauque, où la couverture nuageuse ne s’en va jamais, et où la fumée achève de rendre le paysage tout gris. C’est très esthétique, même si la place des images de synthèse paraît importante.

2. Ensuite, l’ambiance fonctionne. J’ai quitté le film assez blasé, mais le lendemain, mon sentiment avait mûri pour devenir quelque chose d’un peu plus plaisant. Entendons-nous sur le terme « plaisant » : l’histoire est très dure, dénuée d’espoir, mais nous fait passer un bon moment derrière notre écran. Par contre, deux erreurs viennent casser la baraque : The Road est bizarrement incapable de créer l’émotion (en tout cas chez moi) alors qu’il utilise des moyens théoriquement efficaces d’empathisation et que le duo père-fils est 100% du temps à l’image. Et ce n’est pas la faute des acteurs. De plus, le film ne peut s’empêcher d’être américain ; la situation désespérée qui tient pendant toute la narration ploit quand même sous l’oppression d’une fin redonnant vie à l’espoir. Ce n’est pas grave, mais dommage.

3. Enfin, il faut garder à l’esprit que l’intrigue est entièrement basée sur l’éducation de l’enfant. C’est une facette très bien écrite de The Road qui finit par séduire, malgré l’inévitable révolte dont j’ai parlé plus haut. Les rapports de force, les dialogues et les acteurs sont autant de serviteurs pas géniaux mais compétents de liens qui se tissent avec une urgence bien imaginée. Il est probable qu’on doive tout cela à l’apparente fidélité du film au livre qui l’a inspiré. On est guidé sur la grisaille de la route par le « feu » que transporte le gamin, ce mélange de force et d’humanité que son père voudrait qu’il garde. C’est propre.

La Route ne sera pas pour moi l’exemple d’une réussite dans le genre post-apocalyptique que j’affectionne pour autant. Il ne crée pas grand chose, mais on passera un relativement bon moment si on sait voir ce qui lui donne du caractère.


c7r6*

Vendredi : Pirates du XXe siècle

(Boris Dourov, 1979)

« Thématique : langue russe »*

Étrange de la part de l’URSS d’avoir financé ce mélange de genres risqué. Arts martiaux, action, pirates, c’est presque n’importe quoi, sauf que c’est maîtrisé et que le film est court, ce qui le sauve du naufrage qu’on devine inévitable s’il y avait insistance.

Romance discrète, esprit de sacrifice, combats, pinups, rebondissements énergiques, tout ça est très américanisant. Résultat : le record du box office soviétique, et une soupe audacieuse qui sait où mettre ses ruptures pour demeurer intéressante. Parfois, il faut bien le dire, on frise le ridicule, et l’exotisme est un exemple des faiblesses sensationnalistes de nos pirates.

Mais c’est au moins un titre qui tient ses promesses : on a des pirates, des bateaux et de la mer, tout ça au rythme d’acteurs très modernes dont les expressions de base ne sont ni cireuses ni caricaturales, de cascades presque hypnotiques et d’une musique entraînante dépassant tout ce qu’on peut espérer d’un film non américain à cette époque. Plutôt épaté.


c3r5*

Samedi : Les Pink Floyd live à Pompéi

(Adrian Maben, 1972)

« Thématique : film musical »*

Tournage de six jours, écran bleu pour les scènes en studio, séances d’enregistrement mises en scène, fausse spontanéité dans les dialogues… Je ne suis pas très fan de tous ces trucages. C’est juste un live filmé, mais le réalisateur trouve cohérent – hélas – d’user d’un montage « créatif » trop sporadique pour vouloir dire quoi que ce soit. En plus, c’est le Director’s Cut, avec des séquences en images de synthèse ajoutées au DVD pour atteindre une longueur standard. On ne glanera le pauvre intérêt de ce film que dans les bribes intéressantes des interviews, ainsi que, bien sûr, dans la musique. Mais un « mur » de soucis sépare l’œuvre de la réussite. 


c5r2*

Dimanche : Le Capitan

(André Hunebelle, 1960)

« Hors-thématique »*

Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas vu de film de cape et d’épée. Ça m’avait manqué, mais celui-ci remplira le manque pour très longtemps. Ventrebleu, que c’est daté ! On a la chance de voir Bourvil pousser la chansonnette bien que le genre ne s’y prête pas, mais son rôle de benêt est parfois gênant. On a l’impression que les films de la trempe s’adressaient déjà aux vieux à l’époque – même si je comprends bien qu’on puisse les aimer indifféremment de la génération. Le scénario est découpé au fil à beurre entre sa partie « Jean Marais se bat », sa partie « Bourvil amuse la galerie » et le reste en parts par trop égales entre la politique de la cour et la romance.

Insupportable pour moi, même si je me dois d’admirer la performance athlétique à couper le souffle de Jean Marais, qui prend part à des cascades impressionnantes, des combats énergiques et bien réglés, et qui pratique l’ascension à mains nues et sans trucage d’un château, plus fort que Zorro dont il arbore le masque quelques instants… Tout ça quand il ne doit pas céder sa posture de « meilleur acteur », tout subjectivement et par la cause de sa diction guindée par une expérience trop coincée, au jeune Christian Fourcade dont les lignes sortent avec juste le naturel nécessaire pour être attendrissant sans irriter.



* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique.  Plus de détails ici.

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