Cinébdo – 2018, N°32 (La Femme d’à côté, Pretty Woman, Les Communiants, L’amour a ses raisons, Un Homme d’exception, Moonwalker, Solaris)


Ce format consiste en une compilation de mes critiques sur les films que j’ai vus dans la semaine.

Sommaire cliquable
La Femme d’à côté (François Truffaut, 1981)
Pretty Woman (Garry Marshall, 1990)
Les Communiants (Ingmar Bergman, 1962)
L’amour a ses raisons (Giovanni Veronesi, 2011)
Un Homme d’exception (Ron Howard, 2001)
Moonwalker (Jerry Kramer, Colin Chilvers, 1988)
Solaris (Steven Soderbergh, 2002)


(J’écris par passion de l’écriture et de mes sujets, mais c’est encore mieux d’avoir l’impression de ne pas être seul. Si vous aimez cet article, cliquez sur le bouton « j’aime », laissez un commentaire, voire partagez si vous en avez envie. Sinon, vous pouvez juste lire, c’est bien aussi. Merci beaucoup !)


Image d’en-tête : Solaris ; films 188 à 194 de 2018

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Lundi : La Femme d’à côté

(François Truffaut, 1981)

« Thématique : Gérard Depardieu »*

[Spoiler] À film simple, critique simple ; on peut résumer La Femme d’à côté en une ligne : la nouvelle voisine de Gérard Depardieu est son ancienne amante, sauf que tous les deux sont maintenant en couple. C’est donc une histoire sans histoire, qui va évoluer presque indépendamment de son cadre ; ce qui va importer, c’est la romance qui va se reconstruire et tout emporter sur son passage. Des regrets ? Un peu. Les couples vont s’entrecroiser pour que Depardieu et Fanny Ardant se retrouvent ensemble ; leur couple ne fonctionne pas à l’écran, mais ce n’est que pour mieux refléter l’impossibilité pour les personnages de vivre ensemble. On sent à peine monter le symptôme Roméo et Juliette, tandis que les deux amants se cherchent comme dans un labyrinthe émotionnel dont les murs sont faits de gentillesse. La gentillesse : le moteur de tous les personnages (ou presque ; ceux qui y font défaut sont les moins bons) menée d’une main de maître par la personne à qui l’on doit notamment la voix off, l’illustre inconnue Véronique Silver.

Ni avec toi, ni sans toi. C’est la devise et la signature de ce chassé-croisé molasson qui n’éblouira pas par la logique de ses transitions ni par ses textes, mais transporté par l’empathie.


 

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Mardi : Pretty Woman

(Garry Marshall, 1990)

« Thématique : Julia Roberts »*

La Pretty Woman, c’est Julia Roberts, méconnaissable ; elle est prostituée et assume son rôle jusqu’au bout de ses ongles manucurés maison. Elle est le point d’orgue et la première note de la symphonie amoureuse se jouant dans le film, alors je le dis simplement avant de l’oublier : elle joue bien. Le scénario va s’excuser de transformer sa vie trop violemment en précisant d’emblée que c’est Hollywood ; tous les rêves sont permis. C’est la griffe d’un Hollywood qui s’assume, et cela va bien au-delà de cette ligne intelligente. Quand un grand patron (Richard Gere) – qu’on découvrira attachant – se perd dans Los Angeles avec sa voiture de luxe, il demande à un modeste habitant la direction de Beverly Hills qui lui répond qu’il y est, que c’est la maison de Sylvester Stallone. Il n’y avait pas meilleur moyen de rappeller les immenses contrastes de la Cité des Anges, au cas où Roberts n’y suffise pas, ce qui rend en plus le film très humble.

Le scénario va évoluer avec beaucoup plus de lisseur dans le mouvement que la façon dont Richard Gere conduisait sa caisse de luxe, ne s’empêtrant que dans sa maladresse à tout vouloir rendre lisible ; l’histoire qui se tisse entre les deux protagonistes est entâchée par la carrière de l’homme, qu’on veut garder claire, mais qui est rendue difficile à comprendre par les efforts que le spectateur doit déjà déployer à appréhender les tenants et aboutissants de leur relation. Elle monte en puissance sans qu’on s’en rende compte, et jusqu’à faire « plop » ; tout s’arrange (relativement), l’histoire devient presque jubilatoire, la chanson-phare de Ray Orbison arrive et le rapport à l’argent change.

Oui, parce que Pretty Woman est avant tout un film d’argent. D’abord moteur de la relation, il va peu à peu perdre de son lustre alors qu’on entre dans le quotidien du personnage de Richard Gere. Pourtant il garde sa vraie valeur, car il ne se corrompt pas ; on saisit ce que signifient trois mille dollars pour une jeune prostituée, mais on ne perd pas pour autant pied lorsqu’on parle des montants faramineux que représente le monde de la spéculation. Ce film relativise la valeur des choses avec talent, et si je dis qu’il ne se corrompt pas, c’est qu’il n’est pas instrumentalisé dans l’intrigue pour signifier quelque chose « de plus », et surtout pas sentimentalement ; on ne le refuse pas dans le besoin, même si on a connu la futilité du luxe. Une évidence ? Pas pour Hollywood. L’argent va simplement se faire le témoin de la transformation de Julia Roberts, qui semblait déjà avoir changé de manière si brusque en tombant la perruque. Bon, d’accord, ces transformations restent trop fortes.

Plaisir innocent du romantique naïf, et plaisir confiant du sceptique, Pretty Woman tire son succès de ce qu’il est un drame financier qui ne fait pas de l’argent un personnage, et une romance quasiment feelgood qui, sans se cacher de ses projets, s’en excuse avec logique et sans tomber dans les travers des superproductions qu’il ne peut pas éviter ; après tout, la voiture de luxe conduite par Richard Gere appartenait au producteur du film… Hypocrite, je crois que le film ne pouvait pas ne pas l’être. Du rêve en celluloïd, comme je vois quelqu’un le dire quelque part, je crois que le film ne pouvait pas ne pas en être. Mais il ne se cache pas non plus d’être naïf et désespérément romantique ; contrairement à ce que prétendent la plupart des détracteurs du film, je ne trouve pas que Pretty Woman soit un ramassis de clichés ; je pense qu’il fabrique les siens et y arrive très bien.


 

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Mercredi : Les Communiants 

(Ingmar Bergman, 1962)

« Thématique : Max von Sydow »*

Qu’est-ce qui rend le cinéma de Bergman plaisant ? Dans Les Communiants, ce n’est certainement pas le décor, une église où se pressent six fidèles devant un pasteur grippé. Ce n’est pas non plus le rythme ou le propos, puisque les scènes ne se succèdent que pour mieux répéter les lignes universelles de la messe – même si la répétition est utile à l’apprentissage d’une langue, on frise quand même le foutage de gueule. Ce n’est pas non plus les images, ces plans fixes et droits qui fixent l’audience, ou le prêtre, ou le Christ usé sur sa croix.

Ce qui rend Bergman plaisant, c’est qu’il nous offre plus qu’un miroir dans ses personnages ; ce sont des miroirs sans tain (à plus forte raison que le prêtre a le tain blême…), pleins de sentiments, dont il nous offre un aperçu immense sur le paysage pourtant infini de leur émotions inventées. Le prêtre, c’est Gunnar Björnstrand, acteur fétiche de Bergman, dont le personnage malsain de corps et d’esprit semble être le jardin d’Éden de sa carrière. Dans une œuvre hautement anticléricale et minimaliste jusqu’à l’excès (car le minimalisme rend l’ambiance, déjà noire, difficile à supporter, et les faux raccords se voient comme un näsa au milieu de l’ansikt), le réalisateur laisse éclore ses deux protagonistes (avec l’assistance d’une autre actrice fétiche, Ingrid Thulin) et en eux la révolte. Ou bien la résignation ? Car au long de leur voyage d’une journée, ils ne vont que souffrir, et l’église aux six âmes du matin semblera le paradis quand on arrivera à la chapelle sans public du soir.

Alors ce qui rend Les Communiants plaisant, c’est la réussite dans le rendu de cette descente aux enfers, dont il est presque incompréhensible qu’elle ne soit pas insupportable.


 

c7r7*

Jeudi : L’Amour a ses raisons

(Giovanni Veronesi, 2011)

« Thématique : langue italienne »*

L’Amour a ses raisons ou Manuale d’Amore 3 ; comment ça, une suite à ce doublet de pompes à eau de rose qui flanchaient déjà sous le chiffre deux ? Ah, mais y’a Robert de Niro ?

Bon, tout cela ne voulait bien sûr rien dire, mais ça prépare le terrain à l’agréable surprise qu’est ce troisième volet de la série de Giovanni Veronesi. Il est clairement mieux que le 2 ; quant à le comparer au premier, c’est impossible bien que la formule soit la même. Le 3 est à la fois plus moderne et plus grotesque, alimenté par une chasse à la gloriole qui permet l’envolement de certaines scènes, mais n’aide pas d’autres à sortir de leur bassesse. Carlo Verdone, qui participait beaucoup à la construction des premiers films, est ici emprisonné dans un rôle étroit qu’il ne perce que par d’occasionnelles mimiques empâtées.

C’est vraiment De Niro qui fait toute la différence, et de toute évidence, son rôle a été écrit sur mesure ; à moitié comique, à moitié américain, son accent est à moitié audible, pourtant il ne fait pas les choses à moitié. L’Amour a ses raisons mérite donc un siège dans le panthéon des « 3 » réussis, pour ses reliefs soignés, ses émotions qui prennent leur dimension au-delà du jeu d’acteur, et pour De Niro. Et il n’est pas un chef-d’œuvre parce qu’il reprend indifféremment les parangons de l’amour, même si là aussi l’innovation marque ; les acteurs reviennent pour enfiler les mêmes costumes sentimentaux, et les clichés naissent de ce que les scénaristes n’ont pas voulu les laisser éclore. Mais c’est un film plaisant.


 

 

c6r6*

Vendredi : Un Homme d’exception

(Ron Howard, 2001)

« Hors-thématique »*

Impossible de ne pas faire le parallèle avec The Imitation Game au visionnage de ce film. Russell Crowe campe le personnage du biopic avec à peu près autant de classe que Benedict Cumberbatch campe le sien treize ans plus tard. J’ai fait le lien entre les deux acteurs et les deux films pour le meilleur et pour le pire ; d’un côté, cela m’a permis de démontrer l’égalité de talent entre les deux interprètes, mais ça m’a aussi fait voir le départ d’Un Homme d’exception d’un mauvais œil ; évoluant abstraitement dans le monde des mathématiques qu’il ponctue de formules incompréhensibles pour distraire le spectateur, il n’essaye pas vraiment de nous attacher à ses protagonistes. L’évolution est mise de côté au détriment de l’avancement dans l’histoire, qui dure plus de deux heures mais ne paraît pas contenir autant d’éléments que cela promet.

[Spoiler] Tout change toutefois quand on se rend compte, si on ne le savait déjà, que le film est basé non pas sur la carrière ou le génie du mathématicien John Nash qui est l’objet du biopic, mais bien – comme le laisse supposer le titre original A Beautiful Mind – sur son esprit, dont la beauté est duelle ; génie des maths, oui, mais aussi schizophrène. Presque toute une vie est entâchée par cette maladie, ce que le film peine à montrer quoiqu’on puisse en déceler des allusions dans l’insistance qui est faite sur les hallucinations. D’autre part, le film est aussi trop basé sur la maladie, pas de façon morbide mais d’une manière qui met trop le divertissement en avant… Ah, les problèmes des films biographiques !

Même si, en bon biopic, le film a un goût de biopic, il demeure réussi, là aussi à peu près autant que The Imitation Game. Acteurs compétents, mise en scène correcte, c’est un embellissement propret de la réalité qui arrive à faire flotter du rêve autour de l’univers qu’il représente ; dans le cas des deux films, les maths.


 

c3r4*

Samedi : Moonwalker

(Jerry Kramer, Colin Chilvers, 1988)

« Thématique : film musical »*

Moonwalker a visiblement été fait pour le dit de faire un film autour de Michael Jackson ; en fait, c’est une mosaïque incohérente et inintéressante. La première impression n’est pas mauvaise, on y fait défiler des morceaux de chansons des Jackson Five, puis de Jackson ; je dis morceaux car toutes les musiques sont coupées très vite, ce qui est quand mêmeétrange pour un film dit « musical ».

La seconde partie est la plus intéressante. On se demande combien de substances illicites ont été nécessaires à sa conception, mais le résultat est délicieusement perché, incroyablement créatif et très propre. Le personnage de Jackson n’est pas trop basé sur son charisme, il y a un bout d’histoire, et le tout est cocasse et fascinant. Il y est exprimée une critique de la célébrité – Leave Me Alone, chante-t-il – qui ne donne aucun élément de reportage sur le chanteur lui-même, ce qui est intelligent tout en préservant le mystère. Mais ça ne dure qu’un temps.

La troisième partie commence déjà, on y aura droit à deux ou trois chansons entières avec une très bonne chorégraphie, mais le scénario n’a aucun sens (l’idée originale était de Jackson lui-même) et il est musicalement insatisfaisant. La créativité demeure qui n’est pas desservie par les effets spéciaux, mais ça devient un peu n’importe quoi. Le scénario bondit spasmodiquement sans ne plus parvenir à impressionner, et finit par tomber à plat, toutes ses tentatives de faire du sens ayant échoué. Apparemment, le jeu vidéo tiré du film était meilleur que le film lui-même, et ça se comprend. On finit en se disant que le film était à la fois à côté de la plaque et trop court, et surtout on remarque qu’on n’est absolument pas attaché à Jackson dont on a pourtant insisté pour nous rappeler le monstrueux charisme…


 

c4r4*

Dimanche : Solaris

(Steven Soderbergh, 2002)

« Hors-thématique »*

Solaris, 1971, film de Andreï Tarkovski. Solaris, trente ans plus tard et une heure de moins, film de Steven Soderbergh. J’ai vu les deux et j’ai été amené à en faire le parallèle, mais il est peu visible en pratique au-delà du fait que l’ambiance et le rythme sont à peu près les mêmes. Mais force est de constater que la version russe donne au moins l’impression d’être dans l’espace. Soderbergh, lui, n’essaye même pas ; la Terre et le vaisseau orbitant la planète Solaris sont deux boîtes de conserve que rien ne relie ; le voyage interplanétaire est résumé à un insert avec une jolie musique et une jolie image, mais on ne sait pas encore qu’on aura maintes occasions de les réentendre et revoir respectivement.

En fait, il n’y a aucune dimension, pas même chez les personnages. Faisons-en le tour ; un George Clooney tout mou, un acteur secondaire à l’aise dans son rôle de lunatique plat comme une raie (et je ne parle pas de celle de la star qu’on met là pour les midinettes), une autre actrice secondaire qui se complaît dans ses lignes aussi autoritaires que sans fondations, et une planète intelligente dont on passe et repasse le joli portrait parce que, quand même, on y a passé 90% du budget « effets spéciaux » et elle est bien pratique pour boucher les blancs, avec ses violets. Évidemment, le George Clooney molasson se jettera immédiatement dans le problème, qu’il comprendra tout de suite, parce que même avec James Cameron à la production, le temps est limité.

Le film ne trouve ses bons côtés qu’à travers la griffe Soderbergh. Si on ose dire que Solaris a trouvé son réalisateur du fait que l’ambiance est quand même spéciale, presque kubrique, alors le réalisateur a trouvé le bon compositeur. Il n’y a vraiment que deux musiques dans le film, mais elles valent le coup d’être réutilisées, parce qu’elles sont belles et donnent un joli relief aux émotions – si tant est qu’elles ne se chargent pas toutes seules de les créer, étant donnée l’anémie du casting en-dehors du moment où Clooney pousse un « damn it » choqué).

Ensuite, la mise en abyme gagne à ne pas être aussi énigmatique qu’avec l’opus soviétique, d’autant que Soderbergh laisse tout juste la dose de mystère nécessaire pour qu’on se pose les bonnes questions : qu’est-ce qui vaut mieux, le souvenir d’un amour perdu, ou son facsimilé dans la réalité ? La réponse est évidente pour le spectateur libre de cette attache, mais que se passe-t-il au juste dans l’esprit de ces personnages ? Puisque leurs expressions ne nous donneront pas le moindre indice, ces questions restent et alimentent quelque peu notre intérêt pour l’œuvre. Finalement, le haché du montage et de la musique finiront de nous mettre dans un bain relativement agréable.

Bref, du Soderbergh marqué et minimaliste, pas méchant dans le fond mais ennuyeux pour pas grand-chose. On préférerait une superproduction de ce même scénario, et la version de Tarkovski reste la meilleure.



* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique.  Plus de détails ici.

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