Cinébdo – 2018, N° 26 (Mon oncle d’Amérique ; Looper ; Les Fraises sauvages ; Je suis photogénique ; Nosferatu, fantôme de la nuit ; Nine)


Ce format consiste en une compilation de mes critiques sur les films que j’ai vus dans la semaine.

Dans l’hebdo de cette semaine : Mon oncle d’Amérique (Alain Resnais, 1980), Looper (Rian Johnson, 2012), Les Fraises sauvages (Ingmar Bergman, 1957), Je suis photogénique (Dino Risi, 1980), Nosferatu, fantôme de la nuit (Werner Herzog, 1979), Nine (Rob Marshall, 2009).

Stats :

  • cet hebdo contient 6 films
  • dont l’année de sortie moyenne est 1986
  • que j’ai critiqués à hauteur de 6,1/10
  • et appréciés à hauteur de 5,3/0.

(J’écris par passion de l’écriture et de mes sujets, mais c’est encore mieux d’avoir l’impression de ne pas être seul. Si vous aimez cet article, cliquez sur le bouton « j’aime », laissez un commentaire, voire partagez si vous en avez envie. Sinon, vous pouvez juste lire, c’est bien aussi. Merci beaucoup !)


Image d’en-tête : Looper ; films 154 à 159 de 2018

c6r5*

Lundi : Mon oncle d’Amérique

(Alain Resnais, 1980)

« Thématique : Gérard Depardieu »*

On entre tout de suite en mode « perplexité » quand démarre Mon oncle d’Amérique. On nous présente différents personnages que rien ne relie sur le moment, à propos desquels il faut retenir tout un tas d’informations, et une voix off du psychologue Henri Laborit comble les trous avec un semi-documentaire plutôt étrange. Mais il y a quelque chose de tout à fait inexplicable : les inserts de scènes de vieux films de Jean Marais et Gabin. Ce départ tumultueux laisse des séquelles négatives sur le reste de l’œuvre.

Heureusement, le film en lui-même, une fois qu’on est entré dedans et qu’on a mis de côté les transitions pas toujours très fluides entre ces éléments constitutifs hétérogènes, est de bonne qualité. Il ne faut pas occulter le fait que l’histoire tourne autour d’une contrainte psychologique, et cette dernière est très bien scénarisée. Les rôles sont précis et magnifiquement interprétés, et s’enroulent autour d’aspects en théorie rébarbatifs de la vie professionnelle qui s’agencent très bien. On ne peut pas le blâmer d’être expérimental.


c7r6*

Mardi : Looper

(Rian Johnson, 2012)

« Hors-thématique »*

À notre époque, difficile d’aborder un film qui parle de voyage dans le temps et de télékinésie sans crier au cliché. Mais le successeur de J.J. Abrams chez Star Wars a su en tirer un peu plus de jus, et même en faire une double fondation très solide.

Looper est un film de voyage dans le temps avec une façon bien à lui d’en gérer les paradoxes : un axiome. En l’occurrence, la présence d’une version âgée et d’une version jeune de la même personne au même endroit est rendue tolérable par l’alimentation du présent de le la version âgée (Bruce Willis) par le présent de la version jeune (Joseph Gordon-Levitt). La plupart des films du genre se contentent de maquiller ou d’esquiver le paradoxe (même les plus grands, coucou Interstellar) mais Looper nous l’envoie au contraire en pleine figure, de sorte que le renier revient à renier toute l’histoire… or elle est suffisamment bien faite pour nous donner envie d’assimiler cet axiome et de continuer notre chemin sans râler.

Sur la base de sa fondation, le film va laisser déferler un casting épatant. Gordon-Levitt n’est que légèrement surpassé par Willis et leur conflit est très bien écrit, mais c’est surtout Pierce Gagnon qui remporte la palme du film ; à sept ans, il joue un personnage de dix ans (ce qui est un gâchis, d’ailleurs, puisque son personnage aurait très bien pu avoir sept ans aussi) et son jeu est terrifiant de justesse… pourtant son rôle était loin d’être facile.

Il est un peu dommage que derrière ces apparences en béton armé, le film fabrique ses propres clichés. On remarquera un retour sans justification de visages maculés de sang qu’on aurait été en droit de croire relégués aux oubliettes des séries B, et la scène magnifiquement ridicule du moment où tout bascule (le film joue avec le temps, rappelons-le) où un nuage en forme de signature de star (réalisme : 0%) nous montre avec condescendance qu’il s’agit bien du moment où tout bascule… au cas où le spectateur aurait été trop absorbé par le pop-corn pour s’en rendre compte.

Looper reste un bon film, bien casté, où les dialogues et les plans sont toujours pleins de sens, et qui sait miraculeusement circonvoluer à des pièges où beaucoup trop de réalisateurs sont déjà tombés.


c9r7*

Mercredi : Les Fraises sauvages

(Ingmar Bergman, 1957)

« Thématique : Max von Sydow »*

Bergman n’a pas qu’un talent technique, il a le talent de la clarté, même quand elle passe par le scénario. Quoique je n’aie pas personnellement trouvé que Le Septième Sceau cassait des briques, je dois reconnaître que le produit de son imagination est toujours incroyablement explicite, même filtré par le prisme de la créativité. Si certains créateurs ne peuvent pas créer sans faire déferler le résultat à la manière tumultueuse d’un torrent, Bergman est un fabriquant de ruisseaux tranquilles d’où naissent des réussites océaniques.

Les Fraises sauvages associe les rêves aux souvenirs, le plaisir de se connaître à la crainte de se méconnaître, le tout plongé dans le bain d’un road movie nordique somme toute bien agréable, même si l’on y perd la notion du temps. Les acteurs sont fantastiquement vivants, ce qui nous fait remettre en question l’utilité d’avoir une culture du cinéma comme en France ou aux États-Unis quand un seul homme peut la créer de toute pièce et en faire quelque chose d’aussi grandiose. Victor Sjöström n’a pas une carrière d’acteur aussi grande que de réalisateur, et c’est à se demander si on ne doit pas le regretter… au même titre que le reste du casting. La fin de cette œuvre ne pouvait être que trop violente et c’est parfait qu’elle se fasse dans la suggestion.

Bergman a beaucoup de choses à dire, mais il n’a pas son pareil pour les agencer avec sang-froid. Alors il peut se permettre de nous parler d’égoïsme, de vieillesse, de mort, et de faire un film qui soit agréable sans culpabiliser le spectateur. Je finirai avec un mot sur sa maîtrise de la lumière, qui m’a fait m’exclamer plus d’une fois.


c4r6*

Jeudi : Je suis photogénique

(Dino Risi, 1980)

« Thématique : langue italienne »*

En 1980, Dino Risi entamait le début de la fin de sa carrière. À soixante-quatre ans, son film Je suis photogénique traduit une sorte d’aigreur, mais contre qui ou quoi ? Le réalisateur avait accédé au métier par hasard, or le film est une satyre du cinéma, un périple presque kafkaïen dans les désillusions de jeunesse, dont la lecture est rendue inconfortable par sa ponctuation absurde : érotisme, espoirs naïfs déçus à répétition, dindon de la farce, cliché de l’imprésario qui se trompe dans le nom de son protégé… le film ne gagne pas à être spécial.

Pour l’apprécier – car c’est tout à fait possible –, il faut se concentrer sur l’aspect comique, rarement trop lourd, et rarement subtil aussi, mais l’humour a le mérite d’être là et d’avoir du sens. L’œuvre constitue une critique dense et plaisante qui commet simplement l’erreur de ne pas vraiment choisir de trame, toutefois pas celle de foncer n’importe comment dans n’importe quoi. On peut lui reprocher de ne pas renouveller le thème de la naïveté et d’être meilleure sur le coup qu’à la réflexion, mais ce n’est tout de même pas un navet.


c8r3*

Vendredi : Nosferatu, fantôme de la nuit

(Werner Herzog, 1979)

« Thématique : langue allemande »*

Nosferatu, on l’appelle aussi Dracula ; c’est un remake d’un film de 1922 qui avait dû renommer le célèbre vampire pour une histoire de droits, et Herzog n’a pas su faire de choix entre les deux patronymes, alors il a pris les deux en vrac. Et ce n’est pas tout à fait son seul défaut puisque le monstre est supposé avoir des serviteurs, mais ils ne sont pas là, mais ils sortent de nulle part quand il en a besoin. On peut aussi arguer que son château, supposé fantômatique, apparaît à l’issue d’une scène qui, elle, est tout à fait fantôme ; ni brutalement, ni dans une douceur suggestive. Il est là, bien réel, avec peu de nuances.

Mais à part ces petits cahots, Nosferatu reste une des grandes créations de Herzog, qui lui est permise par sa collaboration avec l’inquiétant Klaus Kinski ; le gars apporte quand même son pesant d’interprétation. Le régisseur sait tirer toute la valeur esthétique des montagnes allemandes et des villes hollandaises, où il règne un automne épais et une humidité pénétrante dignes des plus fantastiques aventures. Dommage que ces morceaux d’images constituent la seule beauté et la seule raison de véritablement se plaire devant ce film.

La folie latente du style de Herzog s’exprime parfaitement dans ces décors, et dans l’esprit du héros que la peur envahit petit à petit. Autant le jeu de Bruno Ganz peine-t-il à percer la stratosphère, autant celui d’Adjani est-il aussi raffiné que sa maîtrise de l’idiome germanique. L’histoire tourne au cauchemar d’une manière délicate qui nous fait oublier la lugubrité ambiante – on ne peut au moins pas en dire qu’elle est hors-sujet.

Quand la peste débarque dans le scénario, une alchimie digne la pierre philosophale est mystérieusement mise en œuvre jusqu’à nous faire ressentir de l’empathie pour le vampire, que ni le personnage ni l’acteur ne nous prédestinent pourtant à apprécier… Mais on peut ressentir son besoin viscéral de se faire souffrir à la longueur de ses pensées, de se cacher du soleil, d’être craint sans se faire craindre, de semer la mort. Si seulement je pouvais déterminer d’où ce miracle émotionnel provient, je pourrais en créditer l’auteur avec justesse, mais peut-être est-le le résultat spontané d’expériences involontaires.

Jeu d’acteurs et climat ; deux ingrédients bénins mais qui font tout le charme de ce remake. Non, « charme » n’est pas le mot, mais je ne crois pas qu’il existe de mot pour définir un attrait glauque.


c3r5*

Samedi : Nine

(Rob Marshall, 2009)

« Thématique : film musical »*

Avec son casting riche (Cotillard, Kidman, Day-Lewis…), Nine nous fait des œillades. On s’assied le sourire aux lèvres, rendu fébrile par la promesse de parler d’un film dans le film : Day-Lewis joue un réalisateur en panne d’écriture, et ça peut être marrant de le voir faire semblant que son talent est derrière la caméra plutôt que devant.

Mais les promesses ne comptent pas, seule leur réalisation importe. La musique qui nous assaille vole sa place à la raison, immisçant ses paroles écrites avec le pied gauche dans une introduction mise avec confiance sur les épaules d’un Day-Lewis amorphe – son personnage encombrant a au moins l’avantage d’être un méchant sans en avoir aucune apparence, même si cela le rend ennuyeux à souhait. La musique… elle est tellement tarte qu’on se demande si elle est adéquate. Au moins s’accorde-t-elle avec le n’importe quoiesque de l’histoire quand elle retrace le parcours du film sans scénario supposé voir le jour – ce film, ça serait pas Nine, par hasard ?

Apparemment, Marshall a un truc pour les visages qu’on ne peut pas voir, parce qu’un membre humain ou un objet les occulte. Comme les plans qui font appel à ce procédé n’ont rien d’autre, on est en droit de rechercher la valeur artistique de la chose. Elle est facile à trouver, heureusement, puisqu’elle est nulle. De son côté, Cotillard et Judi Dench épicent un peu la soupe, mais le reste du casting est trop occupé à le maintenir dans sa fadeur.

Nine est surtout ironique dans des dimensions cataclysmiques. Quand la chanson-titre est coupée et que la chose qui tient lieu d’icelle donne « Be Italian » en VO, c’est que quelque chose cloche. Le film ne pouvait pas être plus faussement italophile. Dans ce cadre peu convaincant, l’accent italien de Day-Lewis ne passe pas, mais alors pas du tout. Et puis, les relations amoureuses sont supposées être au cœur de l’intrigue, mais en parlant de cœur, il n’y est pas. Même la technique et la chorégraphie, constituants indéniables du film, ne rattraperont pas le score.


 



* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique.  Plus de détails ici.

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