Cinébdo – 2018, N°23 (Buffet froid ; Le Virtuose ; Astérix: Le Domaine des Dieux ; Hier, aujourd’hui et demain ; Les Tziganes montent au ciel ; Trois places pour le 26 ; Prisoners)


Ce format consiste en une compilation de mes critiques sur les films que j’ai vus dans la semaine.

Dans l’hebdo de cette semaine :

  • Buffet froid (Bertrand Blier, 1979),
  • Le Virtuose (François Girard, 2014),
  • Astérix: Le Domaine des Dieux (Louis Clichy, Alexandre Astier, 2014),
  • Hier, aujourd’hui et demain (Vittorio de Sica, 1963),
  • Les Tziganes montent au ciel (Emil Loteanu, 1976),
  • Trois places pour le 26 (Jacques Demy, 1988),
  • Prisoners (Denis Villeneuve, 2013).

Stats :

  • cet hebdo contient 7 films ;
  • dont l’année de sortie moyenne est 1992
  • que j’ai critiqués à hauteur de 6,3/10
  • et appréciés à hauteur de 6,1/10.

(J’écris par passion de l’écriture et de mes sujets, mais c’est encore mieux d’avoir l’impression de ne pas être seul. Si vous aimez cet article, cliquez sur le bouton « j’aime », laissez un commentaire, voire partagez si vous en avez envie. Sinon, vous pouvez juste lire, c’est bien aussi. Merci beaucoup !)


Image d’en-tête : Prisoners ; films 135 à 141 de 2018

c6r5*

Lundi : Buffet froid

(Bertrand Blier, 1979)

« Thématique : Gérard Depardieu »*

Dans cette création au titre peu appétissant, Bertrand Blier va faire appel aux couleurs rouge et noir pour glisser un code aussi opaque que dans l’œuvre de Stendhal. Non qu’il ait besoin de codes ou de quoi que ce soit d’autre, puisque son histoire prend sa source dans un décor théâtral et tout à fait minimaliste ; la banlieue parisienne s’est vidée, et c’est dans sa désertification que vont naître l’angoisse et le paradoxe avec une bonne dose d’humour aussi rouge et noir que drôle. Et puis l’on peut compter sur la maximalisation du casting (Depardieu, l’autre Blier, Carmet, et la Bouquet finale) pour permettre aux dialogues d’achever de nous séduire.

Mais le charme ne dure qu’un temps, et l’on finit par s’ennuyer, comme si l’ambition avait constitué un carburant en quantité spartiate pour Buffet froid. L’embrouillamini criminogène des hilarantes contradictions initiales se transforme en des contradictions dérangeantes ; la police, qui n’avait qu’un rôle symbolique, revient quasiment d’entre les morts pour imposer sa morale, et les habitants, dont la rareté les rendait précieux, sont dévoilés par un simple grattage superficiel des habitations. Dommage, car on ne pouvait mieux rendre Paris inhumain qu’en l’inhumanisant littéralement de la sorte. Comme si une espèce d’ennui avait voulu de l’œuvre qu’elle détruise ses propres codes, sans qu’aucun de ses aspects gagnants ne vienne prendre la relève.


c5r6*

Mardi : Le Virtuose 

(François Girard, 2014)

« Thématique : Dustin Hoffman »*

Il faut un certain temps dans le film pour s’en faire une opinion. Ce serait normal s’il devait maturer, mais la cause en est malheureusement l’insipidité. En gros, Le Virtuose, c’est Les Choristes en Amérique, sauf qu’il y en a qu’un, que c’était prévu pour être mieux et que ça a raté.

L’histoire avance on ne sait z’où, d’abord avec un bon rythme, plutôt bien ponctué par l’arrivée du personnage du père (Josh Lucas) dont le dilemme, quoique raccourci, est plaisant. Le fait est que les raccourcis vont pulluler et réduire en cendres le potentiel divertissement qu’on peut tirer de ce visionnage :

  • d’une, on veut montrer avec subtilité qui est le père, mais on passe de l’ignorance à la chose accomplie sans jamais douter ;
  • de deux, le personnage de Garrett Wareing (depuis peu orphelin, avec tout le bagage psychologique que cela implique), intéressant parce qu’il entre dans le monde de la musique sans la connaître, apprend le solfège instantanément, apparemment sans que le réalisateur se rende compte de l’opportunité qu’il avait de rendre son œuvre palpitante ici (il préfère développer des confrontations nulles entre les élèves pour ça) ;
  • de trois, on n’a aucune idée que le même personnage réussit son audition, et de quatre, qu’il atteint le mythique contre-ré, qui était pourtant si joliment promis (c’est à peu près le seul truc vraiment réussi du film).

Aucun aspect du film n’est poussé autant qu’il pourrait l’être. Il frise le cliché dans les grandes trames qui se prétendaient les piliers du scénario (la revanche de l’élève teigneux, le prof grincheux qui revient sur son opinion… Même Eddie Izzard ne relève pas le niveau) et se retranche à temps derrière un réalisme comblant ses lacunes par une humanité très convenue, mais qui permet à tout le moins de provoquer une catharsis tardive. Je lui mets la moyenne pour la constance dont il fait preuve dans son malheur, et pour le casting des enfants.

 


c7r7*

Mercredi : Astérix: le Domaine des Dieux

(Louis Clichy, Alexandre Astier, 2014)

« Thématique : Astérix (animation) »*

Même le fan le plus conditionnel de la série Kaamelott ne pouvait qu’être hypé par l’arrivée aux manettes d’Alexandre Astierix, mais non sans craindre qu’il n’ait pas l’entièreté des droits sur l’écriture. Et, sans en être sûr à 100%, on a la forte impression que le co-réalisateur Louis Clichy, ancien de Pixar, a mis la main sur pas mal de détails parmi – malheureusement pour lui – les moins bons.

Le verbe très engagé d’Astier, plein de caractère et de régionalismes cachés, pas dénué non plus de clins d’œil, se prête extrêmement bien à l’univers de la BD, qu’on retrouve visuellement sans jamais être amené à faire des parallèles désobligeants. L’expression par des anachronismes réjouissants porte le film au summum de ce qu’on pouvait en espérer. Mais le bât blesse pas très loin ; les idées sont poussées un peu trop, frisant le ridicule parfois. Et certaines (autres) idées se répètent, stigmatisant un peu le résultat. Bref, l’astiérisme ne parvient pas à imprégner l’ensemble de l’œuvre.

Malgré ces faiblesses, Astérix et le Domaine des Dieux est un monstre de créativité qui montre bien qu’Astier a de belles années à venir dans le monde audiovisuel ; la suite (d’Astier et Clichy aussi) vient d’être annoncée, et on l’attend presque sans crainte d’un « syndrôme du 2 », car ce premier exemplaire est super bien animé, avec l’audace de la 3D, des jeux d’ombres et de l’absence de doublage (puisque le film a été animée sur les voix préenregistrées ; c’est brillant), et très actif malgré la longueur précédant le dénouement. Enfin, on retrouvera Roger Carel (87 ans en 2014) avec surprise et plaisir.


c5r6*

Jeudi : Hier, aujourd’hui et demain 

(Vittorio de Sica, 1963)

« Thématique : langue italienne »*

Les trois jours dont parle le tite sont trois sketches, avec chacun leur point fort. Le premier nous marquera par la vie qu’il insuffle à une grande partie de la ville, mais surtout pour l’exploration en profondeur qu’il fait de l’immoralité ; le personnage de Sophia Loren échappe à la prison parce qu’elle est enceinte et continuera d’y échapper pendant les années suivantes grâce à cette même exemption, plongeant le duo qu’elle forme avec Mastroianni non seulement dans le refus de la loi mais surtout dans la luxure. Il est presque dommage que la maltraitance issue de cette production d’enfants soit explorée sous l’éclairage de l’humour (on aurait pu avoir le trio néo-noir de l’immoralité légale, religieuse et morale), mais l’ironie demeure ferme et plaisante, de sorte que le sketch est bon.

Les sketches suivants ont le malheur de baisser en qualité, nous faisant soupçonner que le premier était l’objectif véritable et les deux autres le bouche-trou (notons que le film dure deux heures et que cela tend à infirmer l’idée). Le second reste intéressant, simplement opaque, trop court et mal découpé. C’est le troisième qui ramène à l’avant-plan le sous-jeu des figurants et le surjeu de Mastro, quoique les dialogues les relient bien et qu’on éprouve toujours un intérêt impatient, mais beaucoup plus relatif, pour les conséquences possibles des évènements.

Le moyen d’apprécier pleinement le film, c’est de tout résumer à Loren et Mastroianni. C’est réducteur mais légitime, l’une semblant n’être jamais mal à l’aise (que ce soit avec un bébé, un animal ou à moitié nue) et l’autre un égaiement de l’histoire comme du tournage.


c7r6*

Vendredi : Les Tziganes montent au ciel

(Emil Loteanu, 1976)

« Thématique : langue russe »*

Emil Loteanu, réalisateur soviétique d’origine ukrainienne né en Moldavie du temps où c’était la Roumanie, était la bonne personne pour parler des Tsiganes. Qui eût cru que les clichés sur ce peuple nomade fassent partie intégrante de la société russe des temps jadis ? Le pays n’a jamais été connu pour sa compassion, mais le film nous éclaire, Occidentaux incultes que nous sommes, sur les préjugés dont ils furent victimes là-bas aussi, et dans lesquels on se trouve un malheureux point commun, dans l’intolérance, avec la Russie des Tsars.

Ce film de 1976 est un film de visages, dans tous les sens du termes ; ils sont variés, ils vont et viennent comme si le spectateur avait le privilège de faire partie de la tribu pendant quatre-vingt-dix minutes. Mais le plus étonnant, c’est la musique. Elle est intégrée d’une manière qui ne la différencie guère de Broadway ; les acteurs sont en playback, ils articulent et jouent vraiment les chansons. Cela rend l’ambiance un peu confuse mais c’est peut-être là aussi que l’Occident n’est pas réceptif à cette manière de faire les choses ; on comprendra mal la place de la sorcellerie et l’histoire paraît parfois être mise au rebut derrière les priorités graphiques, mais cela ne l’en dépare pas de sa fascinante intégrité.


c5r5*

Samedi : Trois places pour le 26

(Jacques Demy, 1988)

« Thématique : musical »*

On croit savoir à quoi s’attendre quand on regarde un film de Jacques Demy ; de la musique, des couleurs, de la légèreté. Mais comme ses films ne nous donnent jamais tort – pas même celui-ci –, on en oublie que la surprise peut venir d’autre part.

Le propos du film tient en sa nature de semi-documentaire sur Yves Montand, où l’acteur joue son propre rôle, montant lui-même une pièce autobiographique. Cela infiltre le charisme de Montand à peu près partout, et cause une crédibilité du théâtre si grande qu’on ne sait plus quand les personnages jouent un rôle ou non. Hélas, Montand, bien qu’il se joue lui-même, semble avoir enfermé sa personnalité dans une petite boîte.

Il est dommage, dans le cadre de ce parallèle cinéma/théâtre, que le film adopte lui-même une forme scénique foncièrement vaudevillesque qu’on voit venir de loin. Toutefois, l’intrigue est plutôt bien dénouée, avec la douceur propre au réalisateur, qui s’engage pourtant sur une pente plus osée, forte et ambitieuse, aboutissant sur un inceste involontaire. Quand on connaît l’homme, le choc peut être grand.

Au-delà de ce détail qu’on peut mettre sur le compte de la fausse piste – l’ambiguïté laissera aux plus chastes le loisir de n’y pas croire –, le film évolue dans la lignée du « slogan » chanté par Montand en intro : « il y a l’amour, le reste on s’en fout ». Dans cette optique, et avec la facilité dont l’œuvre fait preuve pour passer du sérieux à la légèreté (procédé lui-même mis en mots dans la pièce), elle est clairement intéressante. Et au-delà de son aspect purement théâtral et agaçant, la conception graphique est très bonne et l’image est bien découpée… Pas comme l’ensemble, qui fourmille de raccords horribles, et dont la senteur n’est pas le doux arôme du vieilli mais bien celle du renfermé.

Deux ans avant sa mort, Demy fait une « affaire de famille » de ce film intéressant dans l’engagement qu’il prend, avec quelques bonnes surprises comme la scène chantée du début qui est un auto-clin d’œil, ou les personnages du metteur en scène et du chef décorateur, mais dont les mauvaises surprises sont de bêtes continuités de défauts autrefois contrôlés.


c9r8*

Dimanche : Prisoners 

(Denis Villeneuve, 2013)

« Hors-thématique »*

Avant Premier Contact et Blade Runner 2049, Villeneuve n’était connu que par les sphères cinéphiles. Et moi qui suis passé à côté – comme de tout ce qui est « récent » –, je découvre rétrospectivement pourquoi. Je m’excuse d’avance de dire son nom si souvent dans ma critique, mais le fait est qu’il est partout présent, impossible à ignorer quel que soit le nombre de couches d’art qu’il met sur son œuvre.

La patte du réalisateur est claire : un univers sonore formé par des choses du quotidien, une musique de Jóhann Jóhannson souvent mononote, mais surtout une image rendue bruyante par son aération et ses diagonales. C’est cette combinaison des dimensions sonores et graphiques qui permet à Villeneuve l’expression de son cinéma, de sa griffe si poignante qui rend ses œuvres aussi fortes et fluides que des supercordes. Sur la seule base de cette personnalité, le film part sur un préjugé de 10/10. Mais passons à la suite.

Prisoners est un film criminel somme toute assez basique. On part sur un contact très villeneuvien avec la nature (10/10) et une mise en conditions familiale taillée dans la fin d’un automne pensylvanien (10/10) même si c’est tourné en Géorgie (9/10). Les premiers éléments rythmant du style de Villeneuve (les zooms très lents, les jeux de flou, les plans qui s’ouvrent) commencent d’apparaître, tandis que la force du quotidien se met en place. La transformation de la pluie en neige devient un de ces micro-évènements qui surprend autant qu’on s’en fout, typique d’un quotidien banal jamais aussi bien restitué à l’écran que par cet homme (10/10).

Avec tout ça, la note du film est de 9,75/10 et on n’en est même pas encore à l’histoire. Il s’agit d’un thriller où les acteurs sont au global très compétents (Hugh Jackman 10/10, Jake Gyllenhaal 8/10 – c’est quoi ce tic à l’œil, toujours bêtement mis au milieu d’un plan ?) même si leur talent éclipse du même coup le casting secondaire (6/10). Et Jackman, en plus d’être excellent, a l’avantage d’avoir un personnage super bien écrit, cohérent à l’extrême (10/10).

[Spoiler] En effet, le personnage de Jackman subit la rupture dont s’agit l’enlèvement d’un enfant, et le spectateur va pouvoir admirer les cinq étapes de l’acceptation selon Villeneuve. Choc, déni, colère, marchandage, dépression… et pas d’acceptation, ou presque. C’est en amputant le modèle de cet ultime état, en laissant le spectateur le faire lui-même, que Villeneuve délivre sa catharsis. En attendant, Jackman illustre la folie d’une tristesse ravageuse avec brio, même si elle justifie peu les raccourcis que prend son esprit troublé sur une échelle de temps qui se compte sur une semaine. On prend quand même celui de nous montrer que le personnage, bien qu’il ait un but, ne pense pas du tout à l’après, et c’est ainsi que ses actes sont de moins en moins responsables.

[Spoiler] On apprendra – par l’intermédiaire d’une petite phrase assez cliché – que le méchant commet des crimes pour transformer les gens en démons et ainsi mener une guéguerre contre Dieu. Le spectateur sensible notera que son but n’est pas atteint, car enlever des enfants donne de l’espoir aux parents. Eh si : les parents espèrent retrouver leurs enfants. Et l’espoir, qu’il soit bon ou non pour l’individu, est un sentiment bénéfique, parce qu’il empêche les comportements (auto)destructeurs.

Mais foin de digressions. Si elles sont permises par le visionnage de Prisoners, c’est parce qu’au delà de sa dimension visuelle se cachent tous les indices pour y parvenir. Avec les petits défauts précités, il faut encore compter que le film est un chouilla trop long – pas de plus de dix minutes, mais ça se sent (5/10) – et que certaines lignes de dialogues passent un peu mal avec les champs/contrechamps (6/10).

Après relativisation, on arrive sur une note de 8,5/10. Comment décider de quel côté basculer si l’on veut enlever la décimale ? Le ressenti global, en ce qui me concerne, me suggère de baisser le score, surtout que le ressenti autour de la fin est le plus important, mais je ne peux pas décemment oublier m’être rongé les ongles d’espoir et de tension, ou avoir admiré l’image pour sa seule beauté.



* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique.  Plus de détails ici.

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