Quelques principes et techniques de doublage


En France, nous avons l’habitude de regarder les films « doublés » ; un casting francophone est aux petits soins pour reconstituer les dialogues dans notre langue avec un fort souci de réalisme – quand c’est bien fait. Mais saviez-vous que cette technique n’est pas internationale ?

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Les grandes techniques

Cette carte montre la technique de doublage préférée selon les pays d’Europe. Les pays en rouge sont ceux qui préfèrent un doublage audio intégral. Les pays en bleu ne proposent des versions intégralement doublées que pour les enfants, et autrement choisissent la version originale sous-titrée.

Doublage 1

Les autres couleurs indiquent les pays qui sont adeptes de différentes techniques.

Les pays en jaune clair sont partisans du doublage « à la slave » qui a fait sourire plus d’un cinéphile occidental. Il s’agit de conserver la bande son originale à bas volume et de doubler intégralement par-dessus. Une technique couramment utilisée dans les médias pour des interviews. Mais ce n’est pas tout : un seul acteur est chargé du doublage, parfois deux (un homme et une femme) et ils ne « jouent » pas ; les intonations n’importent pas, seul le sens compte. Cette technique est moins mauvaise qu’on a tendance à le croire, mais la plupart des cinéphiles la décrient pour son irrespect de l’œuvre originale, qu’un doublage intégral « à l’occidentale », qu’il soit bon ou non, a le mérite de reproduire au plus près.

Ainsi donc le doublage n’est-il pas toujours ce qu’on croit, dès qu’on franchit une ou deux frontières. Mais cela peut devenir encore plus curieux si on s’attache à des procédés plus marginaux.

D’autres techniques de doublage

La postsynchronisation. C’est la pratique de doublage la plus connue. Elle diffère de la plupart des autres en cela qu’elle n’implique pas de traduction. La plupart des films étaient post-synchronisés jusqu’aux années 1980 parce qu’il était tout simplement plus commode et moins coûteux que les acteurs se doublent eux-mêmes plutôt que d’enregistrer le son en direct. D’autant qu’à l’aube du parlant, il était techniquement impossible de se débarrasser des parasites qui s’invitaient pour l’occasion.

Le comédien « physique » et « vocal » d’une postsynchronisation est souvent le même ; certains acteurs polyglottes comme Michael Lonsdale, Diane Kruger ou Jodie Foster sont connus pour s’être doublés eux-mêmes dans des versions étrangères. À l’inverse, Claudia Cardinale, dont les langues maternelles étaient le sicilien et le français, a dû être doublée en italien dans ses premiers films parce qu’elle ne le parlait pas encore assez bien.

Les acteurs doublés pour le chant. Ce n’est sûrement pas la technique la plus obscure mais elle est plus répandue qu’on peut le croire. Les acteurs de doublage spécialisés dans le chant ont même un nom en anglais : les « ghost singers » (« chanteurs fantômes »). Quelques acteurs comme Marni Nixon (qui a notamment doublé Deborah Kerr et Natalie Wood) sont même devenus célèbres en cette qualité. On retrouve beaucoup cette technique dans les dessins animés.

Les acteurs doublés pour un dialecte. Et oui, les langues dignes de ce nom ne sont pas les seules à bénéficier du privilège du doublage. C’était notamment le procédé utilisé dans les versions DVD allemandes des adaptations en dessins animés des aventures d’Astérix, le DVD de chaque film proposant en bonus un doublage dialectal. Astérix chez les Bretons avait par exemple un doublage en souabe.

Mais l’impact peut être plus grand, par exemple avec le célèbre Mad Max, un film australien de 1989 qui a été presque entièrement redoublé pour les États-Unis, y compris pour la voix de Mel Gibson qui est pourtant américain.

Les acteurs doublés parce qu’on ne voit pas leur visage de toute façon. Une technique qu’on retrouve pour nulle autre que Dark Vador de la série Star Wars. Le personnage a été joué par huit acteurs différents au fil des épisodes et a connu neuf voix françaises. Mais en version originale, ce n’est pas l’acteur sous le masque (David Prowse) qui a donné de sa voix, mais James Earl Jones (sur décision du réalisateur George Lucas). D’ailleurs, c’est un troisième comédien qui apparaît (Sebastian Shaw) quand Dark Vador se démasque à la fin de l’épisode IV.

On retrouve le procédé dans V pour Vendetta où l’homme masqué est connu pour être joué par Hugo Weaving. En fait, le rôle a d’abord été tenu par James Purefoy avant que l’acteur n’abandonne à cause des difficultés causées par le port du masque. Certaines scènes jouées par Purefoy ont été conservées au montage final, et doublées par Weaving.

Les versions multiples d’un film. Avant les années 1930 (mais jusqu’aux années 1960, plus marginalement), les superproductions américaines faisaient appel à plusieurs troupes d’acteurs de différents pays pour tourner le même film quasiment simultanément en différentes langues. Une pratique coûteuse mais alimentée par l’américanophobie européenne de l’époque, surtout en matière linguistique.

Il faut aussi garder à l’esprit que le cinéma parlant était nouveau, et que le public, habitué aux cartons explicatifs, les refusait quand ils servaient à la traduction. C’est d’ailleurs le même phénomène anti-américaniste qui a rendu le doublage populaire dans certains pays à partir du moment où il se fut perfectionné (France, Espagne, Tchécoslovaquie…).

Pour aller plus loin…

Avant que le doublage vocal intégral ne devienne une technique fiable, l’entrée dans le cinéma muet, depuis le célèbre Le Chanteur de jazz (film muet mais sonore et où le son a été enregistré en prise directe), ne s’est pas faite sans quelques cahots. Les versions multiples ont été précédées de films rendus muets et intertitrés* qui ont conduit plus d’une fois à l’intervention de la police dans les salles devant le tollé du public face à l’entreprise.

* Il faut noter que le concept de « sous-titrage » appliqué aux premiers films parlants concernait les cartons, ou intertitres, hérités du cinéma muet, et non les sous-titres – littéralement – qu’on connaît aujourd’hui.

Il a fallu faire vite pour que le cinéma puisse suivre le rythme de son propre progrès. En six ans, la plupart des pays avaient fait leur choix, motivé par la préférence du public. En France, le doublage s’est imposé dès 1931, comme dans le reste des pays cinéphiles américanophobes.

Mais la technique a fait controverse ; certains y voyaient une forme de magie donnant l’impression que les acteurs s’exprimaient vraiment en français, d’autres – les cinéphiles – considéraient l’innovation comme hautement ridicule et corruptrice. La médiocrité de certains doublages a entretenu cette froideur jusqu’à aujourd’hui. Ironiquement, les cinéphiles d’aujourd’hui sont plutôt adeptes des sous-titres. Si ces derniers sont aujourd’hui à peu près revenus en grâce, ce sont parfois les cinéastes eux-mêmes qui s’y opposent sous prétexte qu’ils morcellent l’image.

Les versions multiples, quasiment oubliées aujourd’hui, ont joué un grand rôle dans l’histoire du cinéma. Les comédiens Laurel et Hardy sont notamment connus pour avoir réalisé leurs propres doublages phonétiquement, c’est-à-dire en apprenant leurs textes en langues étrangères par cœur.

Vous vous demandez peut-être où l’article parle du doublage en-dehors de l’Europe ? Nulle part. En effet, les films européens exportés aux États-Unis constituent 3 % de leur part de marché, un score bien insuffisant pour justifier une industrie du doublage. Et le reste du monde n’est guère cinéphile ; même le grand Bollywood n’est pas symptôme de la passion du peuple indien pour le septième art. Le doublage est une spécificité européenne.

Faire le choix

On n’a certes pas toujours le choix de regarder de la « VF » (version française) ou de la « VOSTFR » (version originale sous-titrée en français). Mais quitte à se donner les moyens, retenons l’avantage énorme offert par la VO : c’est un des moyens les plus efficaces d’apprendre une langue, car elle simule une immersion de très bonne qualité. C’est un atout de plus en plus exploité de nos jours, emporté par la vague des nippophiles conciliant le plaisir d’un animé avec l’assimilation de la langue japonaise. On peut l’appliquer à n’importe quelle langue ; cela permet en plus de s’affranchir du changement d’un doubleur attitré depuis longtemps à un certain acteur étranger, et aucun doublage ne peut l’égaler en perfection.

À la défense du doublage, il faut toutefois observer que la France est devenue experte en la matière et peut offrir des doublages de qualité exceptionnelle. L’auteur reconnaîtra que la version française de Forrest Gump est meilleure que la VO, ce qui est un phénomène tout à fait rare. On l’observe le plus souvent dans les films d’animation (Toy Story par exemple).

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