Cinébdo – 2018, N°16 (Le Sucre ; Le Monde de Barney ; Le Coup du menhir ; Le Pigeon ; Zvezda plenitelnogo schastya ; L’Effet papillon ; WALL-E)


Ce format consiste en une compilation de mes critiques sur les films que j’ai vus dans la semaine.

Dans l’hebdo de cette semaine : Le Sucre (Jacques Rouffio, 1978), Le Monde de Barney (Richard J. Lewis, 2010), Le Coup du menhir (Philippe Grimond, 1989), Le Pigeon (Mario Monicelli, 1958), Zvezda plenitelnogo schastya (Vladimir Motyl, 1975), L’Effet papillon (Eric Bress, J. Mackye Gruber, 2004), WALL-E (Andrew Stanton, 2008).

On est de retour sur un hebdo à sept films qui score bien haut puisqu’on est sur une moyenne critique de 7,1/10 et une moyenne appréciative de 7,4/10. Les critiques sont longues cette fois-ci, profitez-en bien !


(J’écris par passion de l’écriture et de mes sujets, mais c’est encore mieux d’avoir l’impression de ne pas être seul. Si vous aimez cet article, cliquez sur le bouton « j’aime », laissez un commentaire, voire partagez si vous en avez envie. Sinon, vous pouvez juste lire, c’est bien aussi. Merci beaucoup !)


Image d’en-tête : WALL-E ;  films 86 à 92 de 2018

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Lundi : Le Sucre

(Jacques Rouffio, 1978)

« Thématique : Gérard Depardieu »*

J’ai toujours été frustré que les fantasmes financiers du truand français moyen des films policiers d’antan ne soient jamais réalisés. Ayant vu tous les films avec Jean Gabin en séquence, c’est devenu carrément difficile à supporter, le sommet ayant été atteint avec Mélodie en sous-sol (Henri Verneuil, 1963). Et enfin, Depardieu et Carmet viennent poser à l’écran ce rêve devenu réalité. Et quelle réalité !

C’est tout à fait « à la française » (en français dans le texte), mais sans tomber dans les prémices des limites que le cinéma va s’imposer tout seul dans les décennies suivantes. Le film choisit l’économie comme thème (celle qui fait tourner un pays) ; un gros morceau, et il a l’intelligence de ne pas fourrer en plus son nez en politique, ou cela aurait été trop dur à avaler. Ajoutons à cela un casting qui se prend entièrement au sérieux dans une histoire pas forcément toujours rigoureuse, et l’on obtient une douce dérision coulant au fond d’une rivière opaque de divertissement. Ce qui la rend opaque ? La même chose qui la protège d’être trop unilatéralement satisfaisante, de trop sacrifier au plaisir coupable du spectateur, de trop compter sur les sautes d’humeur un peu démodées et beaucoup trop binaires de Carmet en face d’un Piccoli qui lui par contre n’a aucun mal à se recycler : des rebondissements vifs, gérés de manière à vouloir toujours dire quelque chose au plus démuni de connaissances élémentaires en matière d’impôts et autres joyeusetés. C’est ce qu’on appelle un traitement de qualité pour un scénario peu prometteur sur le papier mais rendu génial par pure intelligence.


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Mardi : Le Monde de Barney

(Richard J. Lewis, 2010)

« Thématique : Dustin Hoffman »*

Un film impressionniste. Une histoire d’une vie comme j’en parle souvent, tous ces films audacieux qui marchent dans les longues foulées de Forrest Gump ou de Benjamin Button. Barney Panofsky fait défection puisque son histoire n’est pas entière, et même sans qu’on fasse la comparaison de genre, c’est une légère perte. Le contexte de son existence aurait aidé à construire un récit solide, eusse-t-il duré trois heures. On regrettera d’apprendre tant de choses sur les personnages peuplant cette œuvre pour se heurter à un mur ; ils sortent du néant d’un passé pourtant omniprésent, mais qui cesse d’exister à un certain point.

Mais avec ce qu’il a décidé de représenter, le film sait gérer les petites touches de peinture par lesquelles l’image d’ensemble va prendre forme. Par contre, dans une œuvre impressionniste, les touches n’ont pas de sens propre tant qu’on ne connaît pas l’image, justement. Chez Barney, elles vont prendre toute leur valeur, comme si chacune d’elle était un petit film à lui tout seul. C’est ce qui fait toute la richesse de cette création de Richard J. Lewis, ce qui fait se déployer la toile impressionniste en un kaléidoscope facétieux. Quoique le déploiement en question ne se fait pas sans quelque bazar, tout comme le peintre n’appuie pas pareillement sur son pinceau à chaque touche. Dans le cas de ce film, cela fait de grandes scènes et d’autres médiocres, et cela rend les allers-retours dans le temps par toujours propres quoique toujours assez clairs et lucides. Barney ne fera pas tâche d’huile chez ses grands frères du genre.


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Mercredi : Le Coup du menhir

(Philippe Grimond, 1989)

« Thématique : Astérix (animation) »*

Passé le stade de l’émancipation des films par rapport aux BDs, les adaptations animées d’Astérix arrivent avec ce film à une toute nouvelle dimension de créativité.

Sur le podium des faits les plus marquants à son propos, il faut avant tout considérer combien le film est noir. La BD n’est pas en reste de ce côté-là, mais l’œuvre cinématographique pousse le concept jusqu’à un certain malaise : doit-on rire ou non ? Est-ce fait pour ? On se rendra compte que les réponses à ces questions resteront un mystère, et c’est de là que vient le malaise. Toutefois, il ne naît que pour mieux disparaître, et on sortira du visionnage avec seulement l’impression d’avoir vu un film de caractère.

En seconde place, on remarquera l’accent mis sur l’environnement. Les animaux tels qu’on les connaît chez Goscinny et Uderzo perdent leur part de vie pour refluer dans l’arrière-plan et constituer une partie de l’énorme ambiance sonore. Si énorme, en fait, qu’il est incompréhensible que la régie ait jeté son dévolu sur une bande originale si fade et hors de propos. En plus des animaux, il a l’écho, et les bruitages qui tiennent de l’univers de la fantasy plutôt que de celui de l’animation. D’ailleurs, je me suis fait avoir lorsque l’allusion au monde de Dune est glissée de manière évidente ; j’étais sûr que c’était « pour de vrai ».

Une certaine ambiguïté (là aussi très fantasyesque) est également glissée avec la topographie de l’Armorique natale d’Astérix, que la « caméra » explore d’une façon qui la rend méconnaissable… parce qu’elle reste très respectueuse des lois physiques (les pentes des vallons, les orages qui s’approchent puis éclatent) tout en les malmenant avec beaucoup de liberté (le Romain volant, les marmites explosives etc.). Et dans le bouillon déjà bouillant, ces confrontations constituent l’ingrédient manquant pour faire du film une véritable potion magique.

L’animation n’a rien de franchement extraordinaire, et on peut râler après elle au début car les morceaux fixes de l’image sont très larges. Mais le mélange des histoires (Le Combat des chefs et Le Devin) ainsi que des genres passe étonnament bien, et il est clair tout le long du visionnage – comme après – que ce film est un total ovni qui fait semblant de rien, ramené à la réalité par des facilités un peu plus terre-à-terre, comme la suppression du ciment que sont les meilleurs traits d’esprits de la BD.

En gros, Le Coup du menhir est un panthéon de pierres sèches, un truc bizarre qui sait faire ressentir au spectateur un choc comparable à celui du menhir sur Panoramix. Un quasi-chef-d’œuvre qui manque le gros lot parce qu’il s’est ignoré, et n’a pas fait attention que ses déviances, si elles avaient été libérées, auraient pu être tout à fait géniales, ainsi qu’en témoigne la musique totalement ratée.


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Jeudi : Le Pigeon

(Mario Monicelli, 1958)

« Thématique : langue italienne »*

L’autodérision a quand même du bon ! C’est le principe et l’outil de Le Pigeon, dont le titre, s’il a du sens au début, le perd très vite, comme toute l’introduction d’ailleurs. Mais ce n’est pas l’important. Ce court dialogue tiré du film résume on ne peut mieux l’affaire : « – Tu connais Mario ? – Il y en a des centaines ici. – Mais celui-ci est voleur. – Il y en a des centaines aussi. » Voilà de quoi planter le décor et l’assumer. Ce n’est pas quelque chose que les Français feraient, pour qui, à l’époque, il était quasiment immoral de se distraire du crime… ce qui n’empêchait personne de le faire à partir du moment où le réalisateur avait apposé de prudes garde-fous artistiques.

Monicelli, bien au contraire, puise sa matière dans le crime aussi aisément qu’il puiserait de l’eau dans le lac de Côme. Son idée, c’est que le crime est si présent dans la vie ordinaire que c’est presque un devoir pour les créatifs d’en faire quelque chose qui sorte de l’ordinaire. Il suffisait de poser cette base pour réussir le film, mais le réalisateur ne s’est pas arrêté à la feignardise : à coups de Mastroianni, de Totò, de Cardinale (dont le nom exprime bien mal l’impudicité) et de mises en avant très photographiques des arrière-plans, c’est un tableau satisfaisant qui est dépeint, où des zestes d’humour à peine potache vous nous faire oublier le temps passé depuis l’année de sortie de cette œuvre où « travail » est un gros mot pour les personnages. Un bel exemple de la façon dont l’art peut porter une culture entière à son pinâcle, quelle qu’elle soit, et même si on a l’impression que l’équipe du film est constituée par l’entièreté des Italiens pour qui « travail » n’est pas un gros mot.


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Vendredi : Zvezda plenitelnogo schastya (L’Étoile du captivant bonheur)

(Vladimir Motyl, 1975)

« Thématique : langue russe »*

 

 

L’opacité historique de la Russie, qui se répercute largement sur le monde moderne puisque je n’ai trouvé ce film ni sur Allociné ni sur SensCritique, nous laisse peu deviner que les immensités de sa géographie, contrairement à ce que l’on pourrait croire, sont bel et bien proportionnelles au génie de son cinéma. Plus riche par nature que l’Occident tout entier, la Russie pourrait trouver lassant de justifier en images le « comment » de ce surpassement, d’autant que le régime n’a jamais été friand de s’exporter.

Quel gâchis ! Mais l’art ne se contient pas, comme le prouve cette œuvre qui en est tapissée de long en large. Film de guerre oui, non plus diversifié en politique que des chefs-d’œuvre du même genre certes. On n’omettra pas de compter ces détails comme des points noirs. Mais c’est aussi un film historique et pleinement international, car sa rigueur lui interdit de mettre de côté la forte présence française dans la bourgeoisie russe du XIXème siècle, ou même celle des Allemands ou des Italiens. Moyennant quoi, la version originale (qui ne n’adresse pas qu’aux Russes mais à tout cinéphile consciencieux) est contaminée par un phénomène curieux qu’on ne rencontre normalement pas sous nos longitudes : le doublage à la slave. Concrètement : un seul acteur (en l’occurrence une actrice) qui parle par-dessus la bande son d’origine. C’est étrange quand on n’y est pas habitué et d’autant plus qu’on comprend la langue à moitié masquée.

Au global, L’Étoile du captivant bonheur (ma traduction) est un film de beauté humaine qui s’est dépassé en matière de casting physique. Un soin tout particulier a été apporté aux visages féminins qui devaient y apparaître, comme en témoigne la dédication « aux femmes russes ». L’œuvre ploie un peu sous son propre poids, sacrifiant parfois son montage à des ruptures de ton sans style, ses cadrages à des images tremblées voire floues, et le jeu magique de certains acteurs à celui très médiocre d’autres. Mais captivant, il l’est certainement.


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Samedi : L’Effet papillon 

(Eric Bress, J. Mackye Gruber, 2004)

« Hors-thématique »*

[Spoiler] À défaut d’offrir de grands noms et une grande production, L’effet papillon nous fait des promesses. Et la plus grosse d’entre elles, promise par le premier regard, est d’être un film d’ambiance. On peut largement lui accorder le crédit d’avoir accompli cette mission, car il n’a pas peur de se mouiller, autant dans les décors que dans les émotions. On a parfois l’impression que la réalisation est un vélo lancé en roue libre sur une pente forte (c’est la première image du film, d’ailleurs) et qu’il menace de tomber souvent, mais qu’au final elle s’en tire avec une frayeur et le guidon qui a tremblé bien fort. Parfois la mise semble avoir été trop grosse sur certains chapitres du scénario, faisant attendre peu au spectateur, et l’empêchant du coup de savourer le tout. C’est un effet similaire qui se produit avec la fin ; on attend peu, et on en prend tellement dans la figure qu’elle tombe à plat. Le sacrifice, qui est un élément central et vital dans l’équilibre de chaque chapitre, en est presque anonyme. Difficile de déterminer de quel côté de l’écran vient la faute, alors minorons ce défaut au rang de panne de spectation.

Histoire de parler d’un vrai défaut, prenons l’intrigue. Elle présente deux symptômes d’une pathologie grave appelée « maladie de la série télé ». D’abord, il semble convenu qu’il doit y avoir du drame partout. À en croire le film, toute famille digne de ce nom doit traverser deux ou trois drames d’envergure en une vingtaine d’années. Ce qu’il se passe entre les drames, on s’en fiche. Bon, après tout, la suspension de l’incrédulité aide le spectateur à tolérer tout ça. Mais l’autre symptôme, c’est le pouvoir qu’acquièrent les personnages, en particulier les enfants, qui deviennent des machines à péter les plombs. Ou à tuer, accessoirement. Et en tant qu’adultes, ça leur paraît normal. À ce stade, la suspension de l’incrédulité crie grâce. Et c’est encore sans compter que la navigation dans les chapitres ne cherche absolument pas à compenser ce manque de rigueur et qu’il arrivera à plusieurs moments qu’on veuille dire au film de ralentir pour se respecter lui-même.

Et cela nous amène au dernier mauvais point : l’œuvre est renfermée sur elle-même. En gros, nous avons un personnage avec des capacités cérébrales hors du commun (ce qu’on n’essaye pas trop d’expliquer, mais bon, vu ce que la suspension de l’incrédulité a déjà dû gérer jusque là, un peu plus ou un peu moins ne fait pas une grande différence) et tout ce à quoi il pense, c’est lui-même ou, au mieux, ses proches. Sans même dire que c’est irréaliste en matière de pensée humaine, il est tout simplement impossible pour une telle aberration scientifique d’être contenue dans un si petit espace – scénaristique en l’occurrence.

C’est un peu dommage de devoir tant parler en mal de ce film, mais son scénario est tout bonnement raté. Après, comme on l’a dit, c’est aussi un film qui tient ses promesses avec dignité, remplit agréablement deux petites heures, et bluffe parfois un peu dans la façon qu’il a de considérer la caméra comme un protagoniste. C’eut pu être pire.


c9r8*

Dimanche : WALL-E 

(Andrew Stanton, 2008)

« Hors-thématique »*

J’ai vu WALL-E pour la première fois enfant, et pour la sixième fois ce jour. C’est un film que j’ai toujours adoré pour des raisons qui ont continuellement évolué, et je pense que cela illustre excellemment qu’il s’agit d’un film s’adressant aux petits comme aux grands, quoique les grands seront plus gênés d’y voir ce qui s’adresse aux petits que l’inverse. Ce n’est pas tout à fait bien équilibré mais il y a cent fois de quoi compenser. Il me transporte tellement encore aujourd’hui que j’ai eu du mal à être complètement critique. Mais ce n’est pas grave puisque je n’ai rien de mal à dire dessus.

WALL-E n’est pas qu’un gentil film d’animation à vocation écologique. C’est surtout un film qui se sert de l’animation pour se débarrasser intelligemment de ce qu’elle rend facultatif. La rigueur graphique, par exemple, ou bien la cohérence scientifique (si on voulait chipoter, peut-être que le son dans l’espace est employé avec trop d’importance pour être réaliste, quand d’autres films, par respect pour cette impossibilité, sont un peu plus prudes à cet égard). Et cela ne l’empêche pas de remplir son univers d’intelligence et d’ambiance. Ah, l’ambiance ! Ces bruitages, ces voix. Cette version française dégueulasse dont j’ai finalement pu me passer.

Clairement, WALL-E est un robot attachant, programmé pour plaire à tout le monde sans ennuyer personne, intégré avec un véritable souci du message dans des revendications diverses, d’un peu usées à complètement terrifiantes de lucidité. Il faut espérer qu’on ne finisse pas par converser par écran interposé dans toutes conditions, tellement absorbés qu’on en oublierait le monde autour tout entier. Quoique, ils n’ont pas l’air malheureux, ces gens. Si c’est contre-nature, est-ce pour autant une menace ? Que de belles questions pour un « simple film d’animation ».

Malgré une légère perte de vitesse pendant une vingtaine de minutes dans la deuxième moitié de l’œuvre, où tout s’agite avec une certaine inanité autour d’un méchant sous-exploité pour autant qu’il est employé dans une optique manichéenne très disneyenne, WALL-E est un des meilleurs films d’animation qu’il m’ait été donnés de voir, devant Ratatouille.



* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique.  Plus de détails ici.

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revesanimes

Très bonnes critiques encore Ywan 😉 Forcément, il y a en deux que j’ai lu avec un intérêt plus grand encore: Astérix et le coup du menhir, et surtout Wall-E, qui n’est ni plus ni moins que mon film préféré, celui qui a fait le cinéma est passé pour ma part de simple divertissement à ma passion, qui tient une grande place dans ma vie, devenue indispensable et vitale à ma vie (je vais d’ailleurs bientôt faire un article à ce sujet sur mon blog, la place que tient le cinéma dans ma vie, et dans une autre mesure, la littérature). Je vois que tu aimes Wall-E autant que moi. Je ne sais pas si tu as déjà lu ma critique à son sujet, le premier article que j’ai écrit sur mon blog (https://reves-animes.com/2018/02/13/wall-e-un-bijou-du-cinema-danimation/). En tout cas, ce n’est peut-être pas le plus gros succès commercial de Disney, mais c’est peut-être, avec Ratatouille, leur meilleur film (bon je ne suis peut-être encore pas très objective moi non plus 🙂 ).

Eowyn Cwper

À ce point ? Je suis content que l’article t’ait intéressée. Merci pour le partage !

princecranoir

Ça me fait penser que cela fait bien longtemps que je n’ai pas revu ce chef d’œuvre de Wall-e.

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