[Cinémavis #24] Le merveilleux magasin de M. Magorium (Zach Helm, 2007)


Une critique détaillée – ça faisait longtemps. Celle-ci n’est pas (pour une fois) le reflet de ma haute appréciation de la chose, mais ayant gribouillé plus de la moitié d’une page A4 de brouillon à propos du film, je me suis dit que c’était une bonne raison pour en faire un article à part. D’autant qu’elle présente des particularités tout à fait dignes d’intérêt.

Mr. Magorium’s Wonder Emporium (de son petit nom original) est un film américain réalisé par Zach Helm et sorti en 2007. Y’a Dustin Hoffman, Natalie Portman et Jason Bateman dedans.


Ce qui fonctionne

Le film part d’un concept somme toute très simple : faire tenir tout un univers surtout graphique dans une heure et demi. C’est risqué mais faisable.

Parce que tout le monde sait de toute évidence quoi faire de son talent, l’histoire repose sur une ligne de conduite plaisante et réussie pendant près d’une heure, captivé qu’on est par les dimensions colorées et la topographie démente de ce « merveilleux magasin », comme nous le promet le titre français, tout idiot qu’il soit. Il pourrait avoir trente coins, quatre étages, ou la superficie d’une ville, mais il est tellement touffu et truffé de trouvailles qu’on n’a pas besoin de nous le suggérer. Bons points pour l’économie, qui en plus ne gâche rien du résultat.

En parlant d’économie, il ne faudrait pas que cela suggère une quelconque avarice ; le casting est bien choisi, Hoffman donne de sa personne de manière convaincante pour la première fois depuis Adieu Cuba (Andy Garcia, 2005) et les effets graphiques, sans être bluffants, sont orchestrés dans la logique d’une comédie légère sans verser dans le ridicule.

On a des raisons de douter que le film est « fabuleux » car affiches et bandes-annonces sont traîtres et faciles à contrefaire, mais il l’est vraiment, et son monde marche. Du moins pendant un moment.

Ce qui ne fonctionne pas

Faire tenir tout un univers surtout graphique dans une heure et demi… Ainsi donc l’œuvre y parvient. Mais elle ne parvient pas à en cacher le prix.

Il est facile de faire en sorte qu’une histoire ne s’écroule pas sous son propre poids, à condition de laisser certaines choses de côté. Et justement, le film ne se prive pas de le faire abondamment. C’est un processus insidieux qui ne contamine pas ses deux premiers tiers, et qui met longtemps à se révéler. Mais rétrospectivement, la réussite graphique de l’emporium apparaîtra comme un moyen de nous distraire, pendant que dans notre dos s’accumulent les désillusions.

J’en viens à la raison même pour laquelle j’ai choisi de rédiger une critique longue de ce film : c’est la première fois que je vois un scénario laissant tellement de questions derrière lui, car c’est la forme que prennent ces détails éludés. En voici une liste à peu près exhaustive.

[spoiler]

  • Qui est monsieur Magorium au juste ?
  • D’où vient monsieur Magorium ?
  • Où va monsieur Magorium à la fin ?
  • Pourquoi monsieur Magorium s’en va-t-il à la fin ?

 

  • Quelles sont les origines de Mahoney ?
  • Que va devenir le concerto de Mahoney ?
  • Comment Mahoney a-t-elle commencé de travailler dans ce magasin ?
  • Comment Mahoney a-t-elle été mise au fait que le magasin était magique ?

 

  • Pourquoi Bellini est-il né dans la cave ?
  • Pourquoi Bellini est-il redevable à monsieur Magorium ?

 

  • Pourquoi Eric n’a-t-il pas de père ?
  • Pourquoi les gens ne voient-ils pas que le magasin est magique ?
  • Quelles seront les relations entre Eric, sa mère et Henry ?

[/fin spoiler]

Quelques unes de ces lacunes auraient bien entendu été tolérables. Chaque œuvre est faite d’une part d’inconnu dont on peut n’avoir cure, ou bien qui participe à son mystère. D’ailleurs, elles occasionnent un certain mystère plutôt bien géré puisqu’il donne lieu à des situations où l’on se fiche du « pourquoi ? » et où la comédie prend élégamment le dessus sur notre faim d’explications. Mais quel dommage que sous les personnages épatants et le décorum attendrissant se cache une matière tout juste bonne, en fait, à satisfaire le plus jeune public, et encore ! Une partie de cette audience aura sûrement quelques unes de ces questions sur la langue en sortant du visionnage.

Eus-je vu ce film enfant, j’en aurais été terriblement frustré. Et c’est un danger qui plane sur tout spectateur, car il n’y a pas besoin d’avoir un esprit critique tellement développé pour ressentir cette impression.

Autres trucs à dire

Bizarrement, c’est un film américain où ne se forme aucun couple. Ne nous méprenons pas : dans son irrespect global des structures habituelles, l’œuvre fait plaisir à ne pas se laisser rattraper par les clichés de tels spécimens, ne serait-ce qu’en prenant çà et là des raccourcis dangereux. Mais ce détail est trop symptômatique du mal dont souffre la création de Zach Helm : des vides incommensurables, pas dans le scénario en lui-même mais dans ce qu’il suggère.

La musique d’Alexandre Desplat confirme que le film a trouvé son identité esthétique (visuelle et sonore) mais cette facette aussi, emportée par le bâclage général, subit l’effet boomerang d’un succès trop vide de lui-même, surtout quand ses douces compositions sont interrompues en une seule occurrence par une chanson géniale de Cat Stevens qui serait pertinente si l’option « bande son originale » n’était pas l’outil sonore employé partout ailleurs.

Le compositeur n’est pas le seul à en souffrir. En effet, si Hoffman s’est senti tout à fait bien dans son rôle, Portman ressemble beaucoup à un bibelot. À quoi rime son personnage mi-jeune fille, mi-femme, aux doutes si vite exorcisés, aux préoccupations tardives et si peu crédibles ? Doit-on la croire timide ? Elle ne tient pas le coup sous la tâche de faire tenir tout ça debout.

Conclusion

Relativement unique et audacieux, Le merveilleux emporium de M. Magorium sait trouver sa place. C’est un bon divertissement, mais aussi un film qui nous cache ce qu’il coûte, autre que de l’argent. Et quand on s’en rend compte – car on s’en rend compte –, il devient un des films qui nous laisse avec le plus de questions. Après quoi, la fascination exercée sur nous sur l’aspect graphique nourrit encore plus notre colère de s’être fait duper. Un beau gâchis.

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