Cinébdo – 2018, N°1 (Les Valseuses, Le Maître du jeu, Demain ne meurt jamais, La Fenêtre d’en face, Le roi et moi, Jusqu’à ce que la fin du monde nous sépare)


Image d’en-tête : Jusqu’à ce que la fin du monde nous sépare ; films 1 à 6 de 2018

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Lundi : Les Valseuses 

(Bertrand Blier, 1974)

« Thématique : Gérard Depardieu »*

Bertrand Blier n’avait pas peur de choquer, et pour cause, il avait les idées claires. Quoique réalisateur de son temps, qui sait brosser un tableau grossier mais jamais vulgaire, moderne surtout et qui sait aussi concéder une fin alternative pour la sortie américaine (qui se généralisera d’ailleurs en fin standard), il a des opinions et de l’éloquence qu’il dispense admirablement dans cette création.

Trop précoce pour une France qui tient à son puritanisme pudique, il fait scandale. Jeanne Moreau sauve la face en exposant son nom au générique ; il fallait ça pour rassurer les producteurs, mais peu importe : c’est de la publicité, le succès est là. 5 725 000 entrées en France, un début de carrière propulsé pour Thierry Lhermitte et Gérard Jugnot, et la révélation de Depardieu. Les Valseuses sont l’histoire d’une quête au raffinement sexuel, nous montrant des parangons qui sur le papier font craindre la pornographie, révélant des comportement encore marginalement revendiquées : il s’agit de l’année 1974 ici ! C’est osé, au point qu’on peut encore s’étonner aujourd’hui de la crudité de certaines scènes, mais excavé de ses racines avec une délicatesse presque poétique rendant le visionnage paisible.


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Mardi : Le Maître du jeu

(Gary Fleder, 2003)

« Thématique : Dustin Hoffman »*

Runaway Jury a tout pris à l’envers, pour son propre avantage la plupart du temps mais pas tout le temps. Le film est basé sur un roman de John Grisham qui parle d’un procès lancé contre un fabricant de cigarettes à la suite de la mort d’un de ses consommateurs. Même propos dans le film, à un « détail » près : sur le banc des accusés, des fabricants d’armes. Une politisation apparente qui a des racines assez prosaïques : en projet depuis trop longtemps, l’œuvre s’est laissé voler son thème par Révélations (The Insider, Michael Mann, 1999), l’obligeant à en changer.

Pour le reste du « retournement de chaussette », on peut noter que Runaway Jury est un film judiciaire (ce à quoi les Américains sont addicts, mais étant donnée la qualité usuelle de leurs tournages dans les cours d’assises, on ne peut pas leur en vouloir) qui explore les coulisses de la justice. Non seulement les coulisses mais le jury, sa sélection et l’influence des jurés. Bonne idée, mais c’est là aussi que se font ressentir les faiblesses du film : à trop mettre de personnages, les relations entre eux sont complètement négligées, même entre protagonistes principaux. De plus, l’engagement de l’histoire le déleste d’une exhaustivité qui ferait du bien au réalisme : la manipulation d’un procès par des gens aux intérêts ambigus, c’est distrayant mais grotesque en l’état.

À sa défense, Runaway Jury est un divertissement énergique, qui ne laisse aucun répit et sait faire durer des mosaïques d’images intenses et rythmées. Il pense à couvrir, quoique trop brièvement, les côtés émotionnels ; vu la taille du morceau qu’il traite en matière de tribunal, on peut se contenter de ce rappel minimaliste comme quoi les jurés sont humains. Le casting est au top et l’on va lui faire exécuter quelques pirouettes intéressantes : Hoffman ambigu comme il sait bien le faire, Cusack ambigu comme on l’a bien dirigé pour le faire, Hackman méchant parce qu’il sait bien le faire.

Le surpris n’est pas forcément le gentil dans des scènes bénignes comme la casse d’une voiture par son poursuivant à pied ; un plan réalisé avec de la tension là où on ne l’attend pas du tout. C’est beau à voir. Par contre, il ne faut pas compter vibrer pour les enjeux sans être américain (le deuxième amendement qui autorise le port d’arme à tout citoyen, c’est quelque chose de très difficile à aborder pour l’Europe à des niveaux très profondément ancrés dans la culture).


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Mercredi : Demain ne meurt jamais 

(Roger Spottiswoode, 1997)

« Thématique : Autour de James Bond »*

Il y a encore des relents de kitsch dans cet opus, qui cette fois annonce plus clairement la couleur : vous voulez du Bond ? Bond, c’est ça, et faites pas chier. Il plane une atmosphère de réconciliation plus affermie après le renouveau chahuteur de la saga opéré par Martin Campbell. Ici, le moins illustre Roger Spottiswoode prend sa suite pour faire aller des explosions et des cadavres de plus en plus nombreux avec des techniques de trucage ridicules et apparemment traditionnelles chez 007. Un seul exemple : lorsque la voiture « télécommandée » fonce sur Pierce Brosnan et Desmond Llewelyn, il est évident que les uns ne sont même pas en face de l’autre.

Premier film de Bond après la mort de son célèbre producteur Albert Broccoli, c’est donc une œuvre empreinte d’un conservatisme respectueux mais qui va quand même profiter de la disparition de cette figure paternaliste pour faire carburer la classe aux placements de produits : BMW, tout ça. Il est heureux que cela n’empêche pas les scènes d’action et les cascades d’être raccord avec les nouvelles techniques. Et puis il y a quand même une citation magnifique du méchant : « la distance entre la folie et le génie ne se mesure qu’au succès ».


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Jeudi : La fenêtre d’en face 

(Ferzan Özpetek, 2003)

« Thématique : langue italienne »*

Une œuvre italienne dans toute la splendeur d’un conformisme à peine audacieux, porté par des acteurs au puissant charisme. Parfois imprévisible mais pauvre en symbolique, il est pourtant réalisé par un réalisateur stambouliote, qui parvient à saisir les émotions où il faut mais avec un manque d’insistance un peu gênant qui simplifie certaines scènes à leur seul sens.

Jamais les tellement rabâchés « problèmes » des personnages ne mettent le spectateur en pâmoison, et le résultat frôle la tragédie ratée, ne l’évitant que parce qu’elle… n’est pas vraiment une tragédie. Plutôt une romance où le thème se faufile plutôt adroitement jusqu’à l’esprit du visionneur : il faut la venue d’un étranger pour révéler le mal dans une relation qui paraissait durable, l’apparition d’un indésirable transparent pour faire détester les apparences de son environnement.

C’est le dernier rôle de Massimo Girotti, et c’est son silence contrit qui nous appâte au final, et nous montre la vie comme un moindre mal. Pauvrement contextualisé certes, conforme à certains standards bien entendu, mais ce n’est pas ce qui va mener le film à sa perte et nous faire regretter de l’avoir vu. 


 


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Samedi : Le roi et moi

(Walter Lang, 1956)

« Thématique : film musical »*

On entre dans le film de la manière dont on entre dans les gentils films américains des années 1950 ; un gentil capitaine débarque une professeure d’anglais (gentille mais de fort caractère, pour varier) en un pays follement exotique : Siam, la future Thaïlande. On commence une visite guidée de décors qu’on n’aurait pas conçus autrement pour une histoire se déroulant sur Mars tant le dépaysement est figuré avec inexpérience charmante de la réalité.

Après quoi le spectateur est introduit auprès du roi local incarné par le suisso-germano-soviétique Yul Brynner. On ne découvrira qu’à la fin, fait très étrange, l’absence d’une romance (quoique cet aspect soit couvert en second plan) ; en revanche, on se rend vite compte que la formule est inhabituelle pour commencer : l’humour est situationnel, mais ne commet pas l’erreur de s’éterniser au-delà de l’existence qui lui est impartie pour être pertinent.
Ce qu’on appelle aujourd’hui des « vannes » sont prégnantes et récurrentes, une trouvaille plaisante tant que le semi-sabir des autochtones, ne consistant en fait qu’en l’élision de certaines particules grammaticales (ce qu’on appelle « petit-nègre ») ne nous écorche pas les oreilles de ses stéréotypes persistants.
Ces impairs sont à remettre à leur époque ; le tout est hautement artistique, et la vocation de faire voyager le public dans l’espace n’a rien perdu de sa superbe car le film a aussi tranquillement voyagé dans le temps jusqu’à nos jours.

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Dimanche : Jusqu’à ce que la fin du monde nous sépare

(Lorene Scafaria, 2012)

« Hors-thématique »*

L’affiche, image bâclée traîtresse, nous fait croire à une comédie légère et décalée. Considérez-vous heureux de l’ignorer ou de l’avoir ignorée ! Histoire intimiste sur la frange du cinéma de genre, ce conte pré-apocalyptique est d’une beauté rare qui manipule l’équilibre comme un objet précieux. Tout ce qu’on a besoin de savoir pour le contexte (et qui nous est révélé dans la première minute), c’est que tout se passe entre le moment où l’humanité apprend l’imminence de sa fin prochaine, et la fin en question. Un terrain de prédilection, a priori, pour la luxure, l’orgiaque éclosion de nos refoulements, bref : le trash.

Il aurait été irréaliste de ne pas mettre cette tendance en image ; toutefois – osé-je dire que cela tient au fait qu’il s’agit d’une réalisatrice -, le déroulé n’est pas seulement cohérent mais surtout empreint de délicatesse. Et c’est cette subtilité qui va goutter sur la trame et nous guider au cours des péripéties des personnages. Ajoutez à cela une bande originale parfaite, de laquelle nos sentiments instantanés, de ceux que la pudeur nous garde de partager, sont aux soins confiants comme d’un confident.

Le revers de cette réussite semble être une légère paresse dans la conception de certains détails, le plus criard de tous étant l’idée de traverser l’Atlantique avec un Cessna biplace, une idée si farfelue qu’elle confusionnera les moins férus d’aéronautique. Mais nul ne peut prétendre avoir la présence d’esprit de les relever tous.

L’ambiance est mise rapidement, sans froufrous ni chichis, et rien n’est fait pour l’entretenir ; elle se tient juste là, parfaite et discrète, dans un arrière-plan que la violence occasionnelle nous rappelle quand c’est nécessaire. Il faut aussi prendre garde à laisser son intelligence et son acuité d’esprit allumées, car beaucoup de détails courent comme des étoiles filantes : discrètes fugaces, comme l’avant-garde de ce grossier astéroïde dont on nous avertit de l’indélicatesse.

Pour une mise dans l’ambiance, il suffit en fait de connaître les tout premiers mots. Ma traduction ci-dessous :

Présentateur radio : alors, on nous dit maintenant que… Oui, ils disent qu’en fait un incendie a été déclenché dans le réservoir externe du vaisseau, exactement quatre-vingt-dix-huit secondes après être entré dans le champ gravitationnel de l’astéroïde. Personne ne sait avec certitude ce qui a causé le feu qui a conduit à l’explosion massive, tuant les douze membres d’équipage et scientifiques à bord de la navette Deliverance, mettant fin à notre dernier espoir. Encore une fois, si vous venez juste d’allumer votre poste, la navette Deliverance a été détruite. La dernière mission pour sauver l’humanité est un échec. L’astéroïde de cent douze kilomètres de largeur qu’on connaît sous le nom de Matilda va percuter la Terre dans exactement trois semaines, et nous vous apporterons les dernières nouvelles du compte à rebours jusqu’à la Fin des Temps avec toutes vos chansons rock favorites. Vous écoutez 107.2.

Dodge [sur l’autoroute, écoutant la radio] : je crois qu’on a raté la sortie.

 



* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique.  Plus de détails ici.

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