Hebdo – 2017, N°49 (Rendez-vous à Palerme, L’Ange exterminateur…)


Image d’en-tête : Rude journée pour la reine

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Lundi : Rude journée pour la reine

(René Allio, 1973)

« Gérard Depardieu »*

Ou comment tirer, avec des outils littéraires, un réalisme très fort d’un prolétariat marqué. René Allio est assez peu connu dans le paysage cinématographique français : c’est un homme de théâtre venu des lettres. Simone Signoret, qui tient le rôle principal, est à deux ans d’entamer à la fois sa dernière décennie de vie et sa carrière d’écrivain. Alors le style a suivi : peu soucieux du sens, le film le laisse régner en maître dans des métaphores théâtrales sinon romanesques, qui n’auront pas manqué de séduire les critiques politiques et historiens mais qui sont un ratage dans la cohérence scénaristique. Rarement compréhensible, l’intrigue va dériver en digressions fantasmagoriques, et bien malin qui saura dire lesquelles sont bonnes à prendre. On en ressort bêtement ravi d’avoir vu une famille si bien réussie et merveilleusement costumée, incarnée par des acteurs joliment choisis, mais aussi avec l’impression de n’avoir pas su faire le tri entre le propos et l’à propos.


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Mardi : Moonlight Mile

(Brad Silberling, 2002)

« Dustin Hoffman »*

Moonlight Mile a su trouver ses limites et s’y tenir. Ce qui au global retient les faux pas, mais sacrifie aussi l’étincelle qui aurait pu en faire un grand film. Cela explique sans doute l’avis général assez neutre que le public a eu sur le film. D’ailleurs, l’adjectif qui définit littéralement cette méthode est péjoratif : « borné ».

Ce sont des bornes qui encadrent la manière de filmer, ses champs/contrechamps, sa bande originale et même le jeu des acteurs qui sur le papier promettent monts et merveilles. Des bornes qui n’empêchent pas tous ces aspects d’être excellemment traités, d’ailleurs : on perçoit une affinité de l’œuvre avec la musique (en témoignent les morceaux de premier choix et surtout le titre, qui est celui d’une chanson des Rolling Stones que la production pouvait se permettre en matière de budget, contrairement à Baby’s in black, une autre chanson du même groupe, trop connue, qui devait donner le titre à l’origine) et le jeu de Susan Sarandon fait tout pour dépasser ces bornes… en vain.

Difficile de traduire en les faits qui ont pu causer cet effet, mais cela pourrait ressembler à un excès de prudence du réalisateur, comme s’il devait se préparer avant de se lâcher dans l’excellent Les Aventures des orphelins Baudelaire.


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Mercredi : Permis de tuer

(John Glen, 1989)

« Autour de James Bond »*

John Glen, après avoir été par quatre fois aux manettes de James Bond, s’est autorisé d’aller assez loin dans la violence et l’amoralité de son œuvre finale dans cette catégorie, où elles sont toutes deux présentées non plus comme des antagonistes mais comme des personnages avec ce qu’elles ont de plus vrai et de plus malsain. Résultat : c’est le seul Bond à être interdit aux moins de quinze ans dans les salles américaines (aux moins de douze ans en France).  À en croire les effets, c’est plutôt un bon point, sauf quand la représentation de la mort devient un spectacle sans implication artistique et vide de sens comme c’est hélas le cas ici.

Licence to kill a connu beaucoup d’adversité, étant sorti la même année qu’un Batman, un Indiana Jones et le grand Abyss entre autres, qui tous sont dépourvus de la ringardise qui ne flanche pas chez 007 (attention, vieillot n’est pas forcément ringard). La conséquence est un relatif ratage commercial qui vaut à Timothy Dalton et à John Glen de prendre la porte. Les producteurs seront pragmatiques également puisque les films de la franchise sortent dès lors en automne ou en hiver pour éviter la compétition. Une bien triste récompense pour un réalisme reconnu (parfois), mais un juste résultat pour le reste. Le film ne méritait même pas d’être nominé au prix Allan Poe dans la catégorie du meilleur scénario : il est comme rembourré d’inutile pour parvenir à ses cent-trente minutes par pure convention. Et encore, beaucoup de sa bande a été coupé. Tout ça pour une grosse absence de subtilité : Bond se vengera, et la perte de son permis de tuer ne le gênera même pas.

C’est sans compter les innombrables gaffes, le peu de soin apporté à certaines scènes ou le tournage médiocre, qui bientôt – si ce n’est pas déjà le cas – n’auront plus l’excuse de l’âge. Le seul détail éligible à l’adjectif « génial » sera au final les cascades de Rémy Julienne, un « poids lourd » dans le domaine de la cascade motorisée.


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Jeudi : L’étrange monsieur Peppino

(Matteo Garrone, 2002)

« Langue italienne »*

Typique de son pays et de son époque, L’Imbalsamatore arrive à trancher avec les films de sa famille par ce qu’il faut bien reconnaître dans son excellence. Le personnage d’Ernesto Mahieux est un être repoussant, décrié pour son nanisme et sa sordidité, vieillissant et malsain. Il va se prendre d’une amitié ambiguë avec un jeune homme qui va devenir un non moins ambigu associé. Si la force des acteurs fait très bien marcher les rouages jusque là, ce n’est pas le cas du prétexte à cette amitié – en théorie, l’intérêt du jeune dans les travaux taxidermiques du vieux -, qui est très peu crédible.

C’est un drame italien hélas conforme au standard en cela : de l’abjection par l’abjection, et tant pis si c’est désagréable. Quoique la réalisation ait l’originalité d’utiliser des moyens d’expression momentanés dans sa manière de filmer – le fait de voir par les yeux d’un oiseau, ou les plongées si anguleuses que les deux personnages ont soudain la même taille sont des exemples de tels gimmicks -, le film reste complètement imperméable à l’appréciation. On croirait que l’œuvre s’assume comme affreuse pour pousser le spectateur à le trouver très bon mais mis au service des mauvaises images, ce que, le trouvant bon, il n’est plus en mesure de critiquer. Avis positif mais feeling déplorable.

   

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Vendredi : Rendez-vous à Palerme

(Wim Wenders, 2008)

« Wim Wenders »*

Palermo Shooting, c’est Wenders qui sort de la trame fascinante qu’il s’était trouvée à la fin des années 1990. De la répétition jusque là, peut-être, mais avec lui-même comme seule origine et unique finalité ; elle ne dérangeait pas.

Cela ne pouvait pas durer éternellement mais il n’en sort pas particulièrement en beauté. Ce film est pour lui une sorte de compromis de la passion du tournage, de la critique qu’il fait de l’évolution des techniques et de la philosophie (en général) qu’il s’est toujours plu à accompagner de prosaïques plans très beaux pour l’illustrer. Mais les tirades de la Pensée sont rares, alors elles nous prennent au dépourvu et n’impactent pas. Il aura beau compenser le surplus de texte (pas forcément de mauvais textes, d’ailleurs) par des mouvements de caméra constants, cela ne fera que donner l’effet d’un bouche-trou visuel.

Bon, Wenders sait faire des films, et ce n’est pas Palermo Shooting qui va le lui enlever. Les séquences sont très poussées dans l’art graphique qu’il nous offre encore. Il sait aussi créer de la tension, mais elle retombe à plat quand tout se mélange à tel point qu’une partie de l’ensemble s’effondre. Quand la personnification de la mort vient se faire le détracteur de la photographique moderne, l’ambiance n’est clairement plus là pour faire ressentir cela comme normal et le moment n’est pas crédibilisé. Quelques bonnes idées pas très bien mises en œuvre.


Samedi : Mr. Nobody

Voyez la critique détaillée ici.


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Dimanche : L’ange exterminateur

(Luis Buñuel, 1962)

« Luis Buñuel »*

(Spoilers) Il ne faut pas trop essayer de comprendre ce film de Buñuel, qui doit être un des plus figuratifs depuis le début de sa carrière. Mais si on est ouvert à proposer soi-même une explication, L’Ange exterminateur peut vite devenir un terrain de jeu pour le curieux.

Les invités d’une fête se retrouvent sans l’envie de quitter la maison de leur hôte le soir-même. Alors, chose impensable pour les milieux bourgeois des années 1960, les invités dorment sur place, s’étonnant les uns les autres d’être de tels sans-gênes. Mais le lendemain, c’est la même chose. Et sans que les causes de cette langueur soient expliquées plus avant, les invités se retrouvent bloqués sans raison apparente dans la maison. Il y a une douce frustration qui transpire de cette impossibilité aberrante qu’on ne peut jamais prendre en flagrant délit de médiocrité.

Le moyen le plus simple de résumer ces évènements, c’est que les personnages y sont privés de leur volonté la plus élémentaire, voire primale. Car ils ont toujours tous leur intelligence et leurs manières, quoique la promiscuité les leur érode. La raison ? Qu’importe.

L’intérêt de l’œuvre est son caractère analytique en puissance : les gens vont se retrouver face à eux-mêmes, piégés par leur courtoisie étouffante et par leur bonne éducation d’où jaillissent comme des furoncles des comportements erratiques, irrespectueux, violents et choquants. Le titre est tiré de la Bible, mais celle-ci n’était pas des plus subtiles à proposer le feu comme élément purificateur. Pourquoi faire, quand confronter l’humain à sa propre nature et à celle des autres suffit pour cela ? Mais quand leurs regrets prennent la forme d’un besoin viscéral de rendre grâce à l’Église, Buñuel ne manque pas de les frapper de nouveau du même mal. On se rend bien compte là de la liberté créatrice dont il a pu jouir sur ce tournage.

Comme souvent dans les créations du septième art où le sens mobilise les efforts de création et d’entendement, la forme est criticable. Mais du fait que le sens a déjà gagné tout notre crédit, on va se contenter de relever les vices de forme possibles : d’abord, les épaisses répétitions scénaristiques (vingt-sept d’entre elles, dit-on), qui en ont fait douter plus d’un que ce fût volontaire, et puis ensuite l’absence de moralité évidente. La fin semble de trop également.



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