Hebdo – 2017, N° 38 (Jappeloup, Charlie’s Country…)


 

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Lundi : Jappeloup

(Christian Duguay, 2013)

Ceci est une adaptation libre du roman narrant la vie de Pierre Durand, équitateur dont le film est du coup le biopic. C’est assez indirect mais pas plus mal car cela nous délie de trop de fidélité à l’histoire. Plus besoin de relativiser, on peut oublier pendant un moment que l’histoire est toute tracée, promise à aucun rebondissement qui n’ait été biaisé voire causé par les faits réels.

Il nous reste le suspense et un fort réalisme malgré l’aspect biopic, avec Guillaume Canet qui monte lui-même les chevaux-acteurs, fort d’une pratique ancienne rénovée par six semaines d’entraînement intensif avant le tournage. L’oeuvre est donc conçue par des passionnés – le réalisateur Christian Duguay en est aussi – mais avec une délicatesse qui permet à tout le monde, pendant deux heures, de s’intéresser aux chevaux. Le flux temporel est un peu bousculé et donne clairement l’impression de lister des moments-clés, mais c’est un impondérable du genre. La musique est très bonne et présente, de sorte que tout est réuni pour nous distraire, même si on n’aime pas l’équitation.


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Mardi : Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran

(François Dupeyron, 2003)

Avec ce film, Omar Sharif revient de sa semi-retraite d’acteur induite, apparemment, par un certain blasement de sa carrière. Le script l’a convaincu de revenir à l’écran, et le résultat nous montre clairement pourquoi : l’acteur égyptien y incarne un vieil épicier qui va devenir mentor, puis père adoptif d’un gamin des rues. C’est un peu sordide dit comme ça, et on se figure qu’on est en Algérie contemporaine. Pourtant, c’est le Paris des années 1960, reconstitué à travers le crible d’un quartier arabe qui sent bon le présentisme en dépit de la misère, nous montrant tantôt la sérénité et la simplicité de cette vie, tantôt la façon dont le monde vient bousculer cette communauté en autarcie quasi-parfaite – pourquoi cela donnerait-il l’impression de se passer en Afrique du Nord sinon ?

C’est un film « tranche de vie » qui pourtant ne se coince pas bêtement dans sa conception coutumière brutale de la vie : « voyez ce qu’elle est ». Non. Les choses sont ce qu’elles sont, d’accord, mais ce n’est pas une raison pour y réagir dans le même ton. Tout peut s’aborder avec un sourire. Le vieux est un homme heureux, un père parfait et un épicier philosophe, fier de pouvoir transmettre le réconfort que lui procure sa religion. Le jeune acteur qui lui donne la réplique, quoique obligé par la loi française, en tant que mineur, de travailler des demi-journées pendant les vacances, n’est pas en reste pour montrer qu’il peut autant être un adulte que n’importe qui.

Tout est simple : l’amour, la mort, le voyage, le vol… Indéniablement, le film est un drame, mais on n’en ressort pas attristé et vidé de sa foi en l’humain comme de la plupart des drames français. C’est même tout le contraire. Et si on trouve cela naïf de faire une création positive en parlant de toutes ces choses difficiles à vivre, on ne peut guère l’utiliser comme argument sans se faire dire que c’est juste la façon dont l’Islam voit les choses, et encore ! le film ne nous montre que la manière dont ses pratiquants abordent ces sujets précis, ces grands thèmes. Cela a la particularité d’ériger l’oeuvre en monument de verre qu’on a peur de briser, nous simple spectateur qui s’incruste à l’improviste dans le quotidien des protagonistes, alors qu’elle ne fait que nous inviter à partager la pureté, ou encore une fois la simplicité de ces moments qu’elle évoque. Parce que, on a tendance à l’oublier, elle est toujours le meilleur moyen de conserver la beauté des choses, vraiment fragile elle.


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Mercredi : Wrong

(Quentin Dupieux, 2012)

Wrong, c’est un Français – Quentin Dupieux – qui exporte sa philosophie de vie aux USA : « il n’y a rien de plus beau dans l’art que de ne pas réfléchir ». Qu’on soit d’accord ou non avec cette phrase, elle résume tout à fait le film. Et c’est le passe-partout miraculeux qui l’excuse de tout. Oui, juste cette petite phrase. De quoi mettre dans l’embarras le critique dont c’est justement le boulot de réfléchir à l’art. Pour exprimer un avis objectif sur cette oeuvre, mieux vaut en fait y être insensible, parce que cela permet de dire que le film ne fait que cultiver le n’importe quoi, ce qui, à la base, est vrai. Alors mettons l’aspect artistique de côté : le mystère et l’incompréhensible restent des facettes digne d’intérêt de toute façon. Mais voilà : il se trouve que l’entièreté du film est tirée de cette forme d’art irréfléchi. Dupieux, qui est aussi musicien, fait lui-même la bande originale (en collaboration) et prend même le risque de filmer avec une caméra prototype. Alors, pour conclure, voici une remarque tout à fait subjective : l’histoire est fascinante, le gars derrière la caméra connaît son affaire, mais le mode « brut de décoffrage » a tendance à laisser un peu la beauté absolue dans la poussière.


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Jeudi : Trop loin pour toi 

(Nanette Burstein, 2010)

C’est une comédie romantique qui en 2008 était dans les cartons des meilleurs scénarios pas encore réalisés. Alors ils l’en ont sorti. En fait de romantisme, c’est moitié ça et moitié du sexe. Ils se sont autorisés une flexibilité qui, au gré des cent minutes de l’histoire, aura fait rire à peu près tout le monde, mais ça reste vulgaire dans tous les sens du terme. On se sort de cette mouise aux deux tiers de l’oeuvre : c’est le tournant. Et c’est seulement pour replonger dans une vie de couple qui est cette fois bousculée par la famille – ou comment ne pas faire preuve d’originalité. Et avant la toute fin, il faut encore traverser un no man’s land de l’émotion où le couple se laisse martyriser par les aléas. Pour une guimauve à la gloire de l’amour, les héros manquent cruellement de combativité. Dommage car l’ambiance est assez fraîche et lumineuse ; le seul aspect du film qui soit dans le ton, en fait.


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Vendredi : Charlie’s country

(Rolf de Heer, 2014)

Il ne viendrait à l’idée de personne de qualifier ce film avant tout de documentaire. Pourtant la façon dont il a été réalisé et l’enseignement qu’on peut en tirer en sont symptomatiques. Ce ne sont pas les seuls indices à nous mettre sur la piste : il y a le thème aussi, celui des Aborigènes que la prohibition anglo-australienne oppresse. L’application des lois occidentales est incompréhensible pour eux, et pour cela on dit d’eux qu’ils sont idiots. C’est toujours la même histoire d’une modernité post-coloniale, où contre toutes attentes l’oeuvre a l’audace de placer le personnage principal (un Aborigène, pareil que l’acteur, d’ailleurs) comme le fautif et pas comme la victime (ou tout du moins pas totalement). Désabusé, il refuse d’abord la science médicale des Blancs, puis s’isole dans la légalité ambiguë de la ville de Darwin où il était hospitalisé. Il finit par enfreindre la loi une bonne fois et il est condamné à plusieurs mois de prison. C’est la facette purement créative du film, qui se défait de ses messages sous-jacents pour nous laisser juger par nous-mêmes : certes les anglo-australiens sont à l’origine des envahisseurs, mais jusqu’à quel point est-il légitime pour les locaux de refuser leur législation ? C’est parfait… jusqu’à ce que le personnage de David Gulpilil se résolve à prendre une décision qui sonne comme morale à nos sens occidentaux ; c’est là trop s’éloigner du documentaire.


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Samedi : New York Melody 

(John Carney, 2014)

Une comédie musicale à tous les sens propres des termes, sans les embarras que peuvent apporter le souci d’un quotidien diabolisé. En contrepartie, bien sûr que tout ce qui est inhérent au monde du disque est idéalisé, mais on ne pourrait en blâmer le film que s’il ne parvenait pas à maintenir l’impression d’un rêve sans fin. Or il y parvient. Il ne faut pas s’attendre au réalisme comique de Les Commitments de David Lynch ou à l’émotion d’August Rush de Kirsten Sheridan dans le même style, mais l’histoire fait preuve de consistance dans la satisfaction qu’elle procure, d’autant qu’elle s’adresse à un éventail on ne peut plus large de cinéphiles et mélomanes, avec le chanteur de Maroon V Adam Levine qui y tient un rôle d’avant-plan sans bavures.


 

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