Hebdo – 2017, N°36 (L’Affaire Dominici, Kramer contre Kramer…)


Lundi : L’Affaire Dominici

(Claude-Bernard-Aubert, 1973)

« Jean Gabin »*

L’affaire Dominici, c’est un peu la sublimation de Gabin, par petites touches qui ne sont même pas l’objet du film, sans être impertinentes. Son personnage du père Dominici a tous les tics de langage de ses anciens rôles, lui donnant à la fois sa place habituelle de chef de famille autoritaire, et celle de l’accusé, reflet de toutes les canailles qu’il a incarnées. Un terrain familier pour ses « fans ». Un terrain beaucoup plus familier, en tout cas, que l’atmosphère de conflit culturo-politique qui règne depuis 1968 et de laquelle l’intrigue originale – la vraie, celle de 1952 – n’est même pas issue. Pourtant cette ambiance est bien là et c’est d’elle que le film est empli. Mais en cinq ans, elle s’est un peu tassée et, surprise ! le Gabin politique est toujours compatible, pas nostalgique pour deux sous de ses vieilles prouesses dans le domaine. Vivrait-il toujours, se dit-on, qu’il saurait encore en manier les nuances cinématographiques.

La variante la plus évidente depuis l’avant-68 (une rupture d’importance comparable à la guerre, du seul point de vue de sa carrière), c’est l’absence de scènes faisant du spectateur un témoin absolu des crimes dépeints. Difficile alors, même avec le bagage de la cinématographie policière française jusque là, de deviner la fin ! Dans l’absolu, c’est un gros changement pour qui suit l’acteur depuis ses débuts, et un piège un peu grossier, mais d’autre part l’affaire Dominici est réelle. Avoir développé cette épopée judiciaire n’était pas à la portée du premier venu, surtout quand l’oeuvre est scellée en conclusion par le témoignage d’un véritable avocat du vrai jugement.

Autre bon point à souligner, le film est d’une durée normale (cent minutes) mais il paraît plus long et pas parce qu’on s’ennuie. Chaque scène est nécessaire et elles sont toutes étirées à la perfection à la limite de leur potentiel.


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Mardi : Kramer contre Kramer

(Robert Benton, 1979)

« Dustin Hoffman »*

Faire camper un père de famille à Hoffman, c’était un peu comme de demander à la poule aux oeufs d’or de pondre un oeuf de platine. Sauf que le bougre l’a fait. Du haut de son absence complète d’autorité apparente, desservi par sa voix de fausset et cette sorte de bégaiement constant qui nous rend étranger à son éloquence, on ne l’y prédestinait pas. Mais quand on est bon acteur, c’est en dépit de l’image basique qu’on peut revêtir, et il a su magnifier en Kramer la douceur et la dureté d’un père digne des plus beaux clichés, le plus difficile à jouer mine de rien.

La métaphore juste, c’est la pièce de puzzle avec un vide. Ça, c’est Hoffman. Et le rôle du père, c’est la pièce correspondante avec un plein. L’un présente des lacunes, mais l’autre les comble. Pour le coup, c’est au directeur du casting qu’on doit reconnaître la performance d’avoir assemblé les pièces.

Le symbole du puzzle, par contre et hélas, ne marche pas avec le montage, qu’on sent pressé par le cahier des charges au niveau de la fluidité, comme s’il assemblait des pièces lisses les unes aux autres. Un soupçon confirmé quand on apprend que pas moins de 43 minutes ont été coupées de la première version finale. Parfois, le temps d’un fondu au noir / fondu à l’image, deux scènes se sont succédé dont le contraste, ou au contraire la trop grande similitude, choque.

Rétrospectivement, cela sera un détail. Tout est histoire d’empathie. Au coeur du drame de la séparation d’un couple avec un enfant au milieu, on la sent dans chaque mise en scène et chaque geste. Cela a pu être un aspect entièrement délégué à la direction des acteurs, d’ailleurs. Et lorsqu’au milieu du film, on est forcé de laisser s’en aller le cocon familial et d’entrer au tribunal pour la garde de cet enfant qui signifie tout, on est violemment sevré de cette empathie. Comme toute addiction brutalement inassouvie, on y réagit avec colère, râlant intérieurement qu’il restait là beaucoup de potentiel.

Avec un peu de patience, on se rendra compte que c’est exactement la mise en opposition dans laquelle la régie voulait nous placer, nous mettant à la place de chacune de ces personnes dont le destin change, et surtout de ces enfants qui n’ont d’autre choix que de se plier aux fadaises pseudo-judiciaires de leurs parents, évènements familiers aujourd’hui, qu’on s’étonne de voir déjà restitués au cinéma à une époque où le film avait en plus beaucoup de valeur pour les femmes, dont l’émancipation de leurs hommes commençait de se faire largement sentir.


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Mercredi : Opération Tonnerre

(Terence Young, 1965)

« Autour de James Bond »*

Un Bond où se cristallise la folie des grandeurs. Dépassant en un seul opus le budget des trois précédents confondus, Terence Young nous offre un film de cent-trente minutes où le tournage démesuré est pour une fois à l’échelle du scénario : l’organisation criminelle Spectre a volé deux bombes atomiques. Diantre. L’effet devait être majoré en cette époque de Guerre Froide, mais même pour le spectateur contemporain qui l’a à l’esprit, c’est montré de manière beaucoup trop risible pour être pris au sérieux.

La démesure a ses bons côtés : l’utilisation d’un authentique jetpack piloté par l’une des deux seules personnes habilitées à le faire dans le monde, par exemple. De savoir qu’une fois de plus, les dangers qu’ont encourrus les personnages ne sont pas sans origine dans le réel, aussi. Des cascadeurs ont ainsi reçu des primes pour plonger avec des requins, tandis que Sean Connery lui-même a dû nager près d’eux, dépourvu d’un bouclier aussi efficace que prévu.

C’est aussi un des Bond les plus intenses ; la scène de combat sous-marin approche les quinze minutes. C’est trop long, ça ne sert pas à grand-chose et ça s’inscrit dans l’absence générale de dynamisme, mais oui, c’est intense. Avec trente bonnes minutes de moins, c’eut été un des meilleurs de la série jusqu’en 1965, avec le grossier manque de réalisme en dernier point faible.


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Jeudi : Diaz – Un crime d’état

(Daniele Vicari, 2013)

« Langue italienne »*

Diaz, c’est la reconstitution d’une histoire vraie d’importance mondiale : la démonstration de violence des policiers à l’encontre des étudiants et journalistes pendant les manifestations contre le G8 de 2001. Une odyssée de l’espèce qu’est devenu l’Homme, réalisée par les Italiens, mais malheureusement pour eux-mêmes. Quoiqu’au vu de la conviction du réalisateur en le fait que le spectateur sait exactement de quoi on lui parle, il est possible que même des Italiens aient été confus.

Faire un film, c’est donner les moyens au spectateur de se mouvoir avec aise dans une histoire. Ce faux départ n’arrange rien mais c’était sans compter que le moyen de locomotion du spectateur serait un bulldozer. Diaz, c’est l’exemple d’un film qui s’est fait dépasser par les volontés qui l’ont créé. Son thème en l’occurrence, la violence, lui fait payer le prix de son indélicatesse. On est fasciné sur l’instant parce que la violence est un sujet prenant dans l’absolu, mais on se trouvera bien vite mal à l’aise, déchiré entre le scénario qui fonce tête baissée, peu désireux d’insérer des petites pépites d’art dont il aurait pu se servir pour qu’on s’appesantisse sur l’idée plutôt que sur le sens (alors qu’en réalité, elles y sont déjà et il aurait suffit qu’on nous les souligne), déchiré donc entre le scénario et l’ostentation avec lequel le film pointe du doigt ce qu’il veut dénoncer.

Bien sûr l’entreprise de la dénonciation est louable, mais on ne peut même pas accorder à l’oeuvre cette grâce de vouloir se faire juge, parce que, comble des combles, elle demeure une simple esquisse des faits réels ! Tout content de nous avoir montré au moins une image résumant chaque sévice de cette nuit de 2001, le film les compile en réalité sans cohérence, partant du principe prétentieux que c’est au spectateur de boucher les trous et faire les liens. Pire, il suggère et excuse à la fois ce manquement de telle manière qu’il nous pousse à adopter comme contexte notre propre vision subjective des évènements. Au-dessus de tout, il aurait été tellement plus sain que les gens derrière se rappellent la caméra que le moteur de l’art, fut-il documentaire, est la passion, et que ce n’est pas nécessairement de la colère.


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Vendredi : La Fin de la Violence

(Wim Wenders, 1998)

« Langue allemande »*

À partir du moment où le style de Wenders se rapproche de celui de Lynch – les deux sont aisément comparables au regard de leur parcours et de leur évolution respectifs -, on peut dire de sa création a la légèreté de l’air… Sa futilité aussi. Par autosuggestion ou humble interprétation, on peut se dire que dans le souffle artistique qui nous vient de l’écran, se dessinent des voix auxquelles, peut-être, le réalisateur n’a pas fait attention. Il a délaissé l’art pur et incompréhensible – comme Lynch – mais pour en venir à l’interprétable absolu, qui n’est par ailleurs pas forcément plus clair mais qui est, donc, une formule tellement plus légère.

Bon, on peut aussi se dire que c’est lent, que Wenders n’avait rien à dire, juste envie d’esquisser une histoire en quelques coups de pinceau abstraits. Mais avec lui, le plus beau, c’est qu’on a le choix de se dire telle chose ou telle autre, sans jamais avoir tort. Et si on se sent un peu déçu par cette forme sans but, on peut toujours l’admirer pour être chargée de philosophie et d’empathie jusque dans la moindre bribe de dialogue.


 


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Dimanche : La Fièvre monte à El Pao

(Luis Buñuel, 1959)

« Langue espagnole »*

Cette collaboration franco-mexicaine – il n’y en a pas des masses – est une des premières collaborations de Buñuel avec la France, et une ouverture pour Gérard Philipe au cinéma hispanique, dont il ne pourra retirer aucun profit de quelque sorte puisque sa mort foudroyante précède d’un mois la sortie du film. Les deux nations s’y apportent mutuellement beaucoup, même si le tournage bilingue laisse quelquefois entrevoir l’absence de dialogues réels entre les acteurs.

C’est surtout une aventure politique en pleine dictature centre-américaine, que le film retrace avec la force de l’actualité mais aussi avec moult mimiques sociales et manières polies. L’exécution de ces rituels de respect mutuel prend beaucoup trop de temps. Les discussions en sont tellement bardées qu’on en oublie que, sous cette surface, se déroule avec fluidité un récit emporté hors de sa banalité par des envolées d’éloquence où enfin se brise la frontière de la langue.

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