[Cinémavis #11] Dark Fantasy (Dark World, Тёмный мир) (Anton Megerdichev, 2010)


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C’est aujourd’hui un film russe dont je vais parler. Un film au titre peu prometteur et sujet à confusion tant il est peu distribué en Occident, qui se révèle une perle graphique et une oeuvre tout à fait digne d’intérêt même vis-à-vis des critères les plus américains de la fantasy.

Semer le doute

A peine le film commencé, les scènes s’enchaînent à une vitesse phénoménale, dans deux sens du terme : d’abord elles sont d’une densité extraordinaire car elles ne durent souvent qu’une seconde, mais aussi parce que l’histoire avance vite. Difficile, après dix minutes de ce rythme effréné, de ne pas s’attendre à du grand spectacle entouré d’une intrigue mystérieuse comme le laisse à penser la courte introduction.

Mais quoi que le décor soit, donc, très vite planté, la matérialité de la vie des personnages, leur fort ancrage dans la réalité comme on la connait (puisqu’ils sont équipés de téléphones portables et rient – ou s’évanouissent, d’ailleurs – devant l’inconnu) n’augure pas quoi que ce soit à la hauteur du titre. Pourtant, pas de surprise : la piste suivie est celle du fantastique et tend à aller dans le sens des suppositions du spectateur.

Seulement voilà, il est constamment distrait par la plus grande qualité du film : l’image. Ensorcelante (quasiment dans le sens propre du terme !), elle pousse l’art à ses limites et le travail qu’elle a nécessité transparaît dans chaque pixel de chaque scène. Le contraste de l’image est étonnant, là aussi extrême, rendant les plans encore plus suprenants. Et tout ça, sans parler du montage, un autre travail de titan qui achève dans l’apothéose ce festival de beauté. Bon, le plus dur est passé, on va pouvoir laisser de côté les superlatifs pour revenir à l’essentiel.

Douter de la scène

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Mysticisme, expédition scolaire, troubles estudiantins…Une ambiance indéfinie, floue, faite d’éléments quasiment contradictoires, qui débouche sur une scène de massacre issue d’une étrange découverte. Et voilà. Soudain, l’histoire bascule, les personnages changent.

A posteriori, on se rendra compte que ce n’est pas la seule fois que cela se produit dans le film, et c’est l’occasion de le revivre sereinement une fois qu’il est fini : un beau catalyseur de l’attention, décalé avec le visionnage. Et ce phénomène vient probablement du fait que les personnages sont transposés dans différents rôles parfois opposés les uns aux autres. Des personnages et donc des acteurs, qui sont ainsi poussés à une performance intéressante au niveau de l’identification à leurs personnages, dont la transcendance perturbe.

On ne réalise pas forcément tout ça dans le feu de l’action mais, là encore, c’est ce qui rend l’oeuvre si attrayante au-delà du thème et de la réalisation, et même de l’ambiance qui joue elle aussi un grand rôle tant elle est malmenée.

Homogénéiser le tout

Un des traits les plus audacieux dans ce film est la façon dont il mélange le monde réel et celui, démoniaque, que ce dernier recouvre. Sans cesser de nous rappeler qu’on est au XXIème siècle et d’attirer l’attention du spectateur sur la frustration des jeunes devant l’absence de réseau mobile, il lève progressivement le voile sur tout ce que le spectateur suppose, et qui n’a absolument aucun lien avec la tangibilité jusqu’ici exprimée.

Peut-être que c’est comme ça, en ménageant la curiosité du public, en lui montrant ce qu’il s’attend à voir malgré le doute mis dans la première partie, que ce conflit de deux mondes inverses fait plus que simplement passer inaperçu : que les armes à feu et les humains (qui sont ceux qui deviennent complètement exotiques, au final) fassent encore partie de l’intrigue provoque comme un étonnement et cela participe à la continuité dans l’émerveillement. Car le film en entier est source d’émerveillement par l’image, le suspense, les révélations…C’est un maelström infini de fascination que les sorciers de la réalisation exercent sans relâche sur le spectateur. Sans pour autant oublier la petite pique (très ancrée dans le réel, celle-là) contre Poutine. Aïe.

On pourrait d’un autre côté légitimement attendre de ce genre de productions, éloignées des connaissances cinéphiles du public occidental, que les révélations soient bâclées ou tellement mal mises en scène qu’elles font plus obstacle à la fluidité de la trame qu’aider à son bon déroulement. Et pourtant, elles sont faites avec nonchalance pour céder rapidement la place à plus important. Un bon point.

Conclure en grand spectacle

Comme si le film lui-même était blasé de sa propre beauté, il dégage toute sa force dans la fin…Et c’est là que le bât blesse : c’est certes toujours très beau, mais cela n’arrange rien de vouloir faire plus.

L’antagonisme entre l’illusion et le réel est présent mais les combats qui hantent l’écran à la fin sont stériles et sans fin. Dans d’ultimes transformations, les acteurs sont des objets un peu trop exhibitionnistes de la réussite néanmoins indéniable du maquillage. Dans d’ultimes révélations, le scénario soupire ses dernières forces qui s’essoufflent devant l’énergie excessive que délivre le bouquet final. Heureusement, la toute dernière scène est là pour arrêter l’évaporation du charme restant au film et laisse finalement le spectateur pantois devant cette globale réussite.


avis

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Une oeuvre à ne surtout pas comparer aux critères du cinéma occidental, et du moment qu’on respecte sa qualité assez polémiquée de « film russe », on ne peut que s’émouvoir devant la fulgurance des scènes, qui ne passent pourtant pas si vite que pour masquer l’image, car celle-ci est elle aussi très belle, traitée exotiquement mais avec égards. Le paradoxe entre les mondes de l’histoire est entretenu avec délicatesse, comme si le réalisateur était chef d’orchestre, et dans cette symphonie, impossible de ne pas trouver la trame harmonieuse. La réussite graphique est poussée un peu trop loin et l’intérêt s’essouffle un peu en dernière partie, mais trop peu pour dégrader cette flamboyante oeuvre méconnue et où le budget est pourtant mis à si bon escient.

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