[Cinémavis #10] Maggie (Henry Jobson, 2015)


Un virage tardif pour Schwarzenegger et une réussite dans le registre de l’horreur psychologique : ainsi pourrait-on définir Maggie, qui se renouvelle avec délicatesse dans un scénario remâché.

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L’apocalypse, on connait

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On sait tout de suite à quoi s’en tenir : dès le début du film, le décor semi-apocalyptique et ravagé est planté. Un virus transforme les gens en monstres anthropophages au terme de quelques semaines d’incubation. Un paysage connu des amateurs qui savent alors à quoi s’attendre. Pourtant, après cette introduction très claire, l’histoire nous plonge certes dans une atmosphère angoissante mais qui surprend très tôt en montrant l’organisation humaine face à la catastrophe, encore très présente et pas en désordre comme il aurait pu être intéressant (mais pas inattendu) de le faire. Une ambiguïté qui se poursuit avec le personnage de Schwarzenegger, une personne posée qui émane d’une certaine sagesse – une surprise qu’on doit probablement à l’âge de l’acteur, potentiellement lassé de ses rôles de costaud sans cœur (et tant de fois sans cerveau non plus…). D’entrée de jeu, l’oeuvre assume ainsi son inspiration dépourvue d’originalité (qui prend à Je suis une légende comme à 28 semaines plus tard et bien d’autres, volontairement ou par simple analogie) pour jeter le spectateur dans quelque chose de différent.

Public, crois en l’horreur qu’on prépare !

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Tandis que le spectateur cherche encore ses repères et s’attend plus ou moins constamment à s’effrayer devant des horreurs, il est effectivement satisfait dans son attente à une ou deux occasions où l’aspect « gore » commence de faire sa place. Mais au lieu de l’entraîner dans un crescendo horrifique qui aurait aboutit à un concerto sanglant où les atouts pour attirer son attention sur les qualités du film auraient été rares, ledit film surprend à nouveau en montrant qu’un infecté peut rejoindre sa famille (une infectée, Maggie, en l’occurrence), sous surveillance d’une police et d’un corps médical en alerte mais pas débordés. Le public émoustillé est tenu en laisse par cette peur qui ne s’exprime pas par la violence comme il y est habitué, mais par les descriptions et la musique (seul vrai résidu d’un vrai film d’horreur). Si horreur il y a, son expression est strictement abstraite et tellement plus crédible que des carnages sanglants. Alors que les bains de sang habituels traversent la censure avec autant de facilité qu’un courant d’air, Maggie va jusqu’à la frôler en quelques scènes d’un réalisme puissant. Mais fi de ces ennuyeux parallèles.

L’escalade

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L’escalade, la montée en puissance, est l’essence-même du film, et elle est double : premièrement, on sent le moment fatidique de l’histoire (la « transformation ») approcher, et c’est excitant. Mais sur un plan un peu moins terre-à-terre (comprendre par là « qui appartienne moins au B.A.-BA américain »), elle s’effectue sur le plan émotionnel. Car sans compter qu’on ne voit jamais ladite transformation, les familiarités qui prennent la forme d’adieux et les tensions qui habitent la routine telle qu’elle est dépeinte maintiennent le spectateur en éveil, tout comme quelques rares scènes dites « gore » au dosage très réussi. Car encore une fois, l’horreur est suggérée ; elle s’exprime dans son implication dans la réalité et pas de façon brute. C’est ainsi que sans laisser les amateurs de crudité sur leur « faim » (!), l’oeuvre parvient à séduire les amateurs d’art au cinéma…avec ce qui est pourtant incontestablement un film d’horreur. La régularité de cet essor au sein-même de l’ambiance du film semble être une des recettes pour que l’oeuvre laisse une trace durable dans l’esprit.

La chute…dans tous les sens du terme

Tandis que l’escalade était double, la chute est triple : on parle ici de la conclusion du film, de la désillusion qu’il provoque et aussi de ce qu’on voit à l’écran (je ne spoilerai pas). Hélas en effet, la fin du film en est la partie la plus décevante. Et comme c’est la fin, il en discrédite la plus grande partie. La conclusion à la montée en puissance dont on vient de parler n’en est pas à la hauteur, loin de là. Elle laisse le spectateur dans le désarroi de se rendre compte du peu d’implication de l’histoire dans le grand tout qu’elle inclut tacitement et qu’on ne voit pas. Evidemment, tout film a sa partie cachée, mais la fin est tellement banale (il faut oser le dire) qu’elle dévoile cette part dans ses plus mauvais atours. Tout ça parce qu’elle ne fait pas la taille face à la grande beauté dans la gestion de cette fameuse « escalade ». Un flop dont on se serait bien passé mais qui n’entame en rien, heureusement, la formidable émotion qu’a causée la prise de conscience du spectateur de la folle crédibilité de ce conte impensable.

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Comme s’il se plaçait comme avant-garde du registre « horreur psychologique » au cinéma, ce film montre presque avec désinvolture les ravages qu’a causé un virus méconnu, ne se troublant pas des lacunes sur le moyen de contagion et se concentrant plutôt sur une ambiance immersive où c’est la vie en elle-même qui horrifie. Il en fait presque oublier que c’est un tournant dans la carrière de Schwarzenegger, qu’on est content de voir profiter de son âge pour jouer des rôles plus « sages ». L’angoisse et les fausses peurs maintiennent le spectateur bien calé sur son siège, à la merci de la beauté de l’abomination qu’est devenue la vie en elle-même. Toutefois l’atmosphère en est tellement poignante qu’elle a un revers : la conclusion est un véritable arrachement. Mais elle a beau être dure et révéler la laideur de l’incompris, elle ne détruit pas le souvenir impérissable que l’oeuvre ne peut que laisser.

Alors ? Si vous aimez les films de zombies, allez y. Si vous n’aimez pas les films de zombies, allez-y. Si vous aimez Schwarzenegger, allez y, si vous n’aimez pas Schwarzenegger, surtout, allez-y.

Guillaume Bailly

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