[Cinémavis #5] Les demoiselles de Rochefort (Jacques Demy, 1967)


Les demoiselles de Rochefort est un film culte dans la catégorie des films musicaux français, réalisé en 1967 par un maître dans ce ce genre d’art : Jacques Demy. Les parapluies de Cherbourg présentent la même structure de titre, mais leurs similitudes vont bien au-delà. Mais rentrons maintenant dans les détails.

Une mise en scène à Demy-réussie

Fort du succès des parapluies de Cherbourg, Demy reprend sensiblement les mêmes thèmes dans la mise en scène de sa nouvelle oeuvre. On retrouvera ainsi l’ambiance basée sur le contraste entre l’intérieur et l’extérieur, qu’on pourrait presque affubler d’une majuscule chacun tant ils sont importants. Le thème du domicile, en particulier, est important : le scénario insiste sur l’impossibilité de sortir de chez soi quand on tient un commerce qui rassemble les foules, tel un catalyseur de quiproquo comme cela avait été aussi réussi à Cherbourg. Mais c’est aussi une vitrine : la caméra se positionne toujours de manière à avantager la proximité et engager la Rencontre. Le bar donne sur une place majeure de la ville.

On retrouve d’autres lieux importants, des points forts dans une ville digne d’un labyrinthe pour le spectateur qui ne la vit que par bribes. Premier défaut à cette mise en scène jusqu’ici envoûtante : les liens entres les lieux ne sont liés qu’aux personnes ; ce terreau, infertile au quiproquo, rend incohérent l’embrouillamini qui gonfle. Et si la chorégraphie n’est même pas à discuter tant elle semble orchestrée au millimètre, sa mise en valeur est gâchée par des costumes certes originaux mais qui se répètent et ne changent pas.

Quand à la musique, sa diversité lui rend honneur, et son interprétation époustoufle, mais il est parfois dommage que les enchaînements entre deux chansons soient si soudains car ils gâchent celle qui se finit et trouble la compréhension de celle qui commence.

Trouver l’art

Il faut accorder une qualité immense à la production : l’art y est, il fait même le film à lui tout seul tant par les plans que la danse ou le chant. Mais pour faire de l’art, il faut la matière. Il fallait par exemple trouver des acteurs qui sachent non seulement jouer, mais aussi chanter dans la majorité des cas, voire danser ! Que des acteurs et actrices réputés puissent remplir tous ces rôles sans anicroche est une grande chance pour le cinéma. L’intervention de Gene Kelly est par ailleurs pertinente.

Un scénario précieux

Le scénario pourrait tout à fait convenir à une pièce de théâtre. Le film est d’ailleurs découpé en un nombre variable d’actes, selon le point de vue qu’on adopte. Personnellement, j’en vois trois, qu’on note lorsqu’une scène importante se termine et qu’elle passe à tout autre chose après un blanc (un blanc avec écran noir, précisément).

Il est difficile de penser qu’un jour, et même plusieurs, des gens aient travaillé pour obtenir un scénario si tentaculaire et complexe. De quoi partaient-ils pour cela ? Combien d’idées ont été émises ? Comment ont-ils cousu une si grande tapisserie de si nombreux fils possibles ?

Rares sont les films qui poussent le quiproquo et la confusion si loin, pour les régler parallèlement en toute fin de l’oeuvre. Le désordre gonfle et attire perpétuellement le spectateur, qui ne peut se séparer du déroulement de l’histoire jusqu’à que la fin survienne et le laisse pantois devant une telle manifestation d’ardeur artistique.

Un Demy grandiose au peu d’excès

Les demoiselles de Rochefort est en fait un des grands succès de Demy autant au niveau critique qu’au niveau artistique. Sa réussite fait dire en direct au spectateur qu’il n’a pas envie que les personnages quittent Rochefort, et lui-même n’a pas envie de quitter le film. L’histoire, complexe et prenante, est assortie d’une chorégraphie et de chants étonnants, et les lourdeurs ne tiennent qu’à la densité de chansons et à l’abus d’eau de rose pour égayer une oeuvre déjà si parfumée d’art.

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