[Chronique cinéma] Olé!, Flightplan, Répétition d’orchestre, Le Tambour, White Night Wedding


Dans les cinébdos, je compile mes analyses critiques sur les films vus dans la semaine. 📚 🎥


Sommaire
Olé! (Florence Quentin, 2005)
Flightplan (Robert Schwentke, 2005)
Répétition d’orchestre (Federico Fellini, 1978)
Le Tambour (Volker Schlöndorff, 1979)
White Night Wedding (Baltasar Kormákur, 2008)


Image d’en-tête : White Night Wedding; films 41 à 45 de 2020

4
5,25

Lundi : Olé!

(Florence Quentin, 2005)

« Thématique : Gérard Depardieu »*

L’affiche exotique est symptomatique : voici une nouvelle comédie sur les “pays étrangers“, à peine abordés dans les faits, & dont les personnages font semblant d’assumer qu’ils ne maîtrisent pas la langue. Quentin, forte d’avoir été la scénariste de La Vie est un long fleuve tranquille, a choisi d’opter pour le maximum de piliers possibles en matière de déjà-vu : le beauf cuistre, la mégère hypocondriaque, le gentil qui se fait avoir, une femme compréhensive mais caractérielle & un petit chien pour décorer : tout est enfermé, quoiqu’une grande bonne volonté pétrit tout ça à peu près bien.

Quentin sait totalement traduire, elle-même, son talent d’écriture en visuel.

Olé! se laisse regarder grâce à Elmaleh qui virevolte entre ses scènes pendant plus d’une demi-heure, parfait chauffeur-valet à qui il sied d’être ultracompétent. Mais la comédie de genre a dit non : il fallait que Depardieu se détachât du serviteur pourtant attachant afin de distiller l’antagonisme ; l’acteur flotte vaguement dans cette coquille trop grande pour lui & Elmaleh y perd de sa superbe.

La faute du film repose peut-être en grande partie dans ce glissement d’une notion vers l’autre, qui prive soudain le spectateur de ses repères, même réchauffés (la secrétaire angoissée était très bien, on reconnaît d’ailleurs en elle ce que Quentin faisait de mieux pour Chatiliez), & qui le condamne à des tentatives de plus en plus médiocres de convenir à une audiencequi n’aura finalement que faire de cette soupe scénaristique s’hispanisant longtemps dans le vide.

Quentin a laissé quelques traces d’une volonté de faire quelque chose qui n’a pas abouti. Pourtant elle finit elle-même par réduire Golino au silence, elle qui avait, en plus d’une prononciation espagnole parfaite, cent fois la possibilité & le talent de remettre les pieds sur terre à tout le monde, & en premier lieu à Elmaleh, son mari dans l’histoire qu’elle regarde se noyer dans des absurdités évacuées de moins en moins efficacement par le rire.

On entrevoit, par l’embrasure de beaucoup de portes refermées sur les bonnes idées, une entreprise plus grande qui en valait la peine avant d’être écrasée par le standard.


7,25
7

Mardi : Flightplan 

(Robert Schwentke, 2005)

« Thématique : Jodie Foster »*

Flightplan est pour moi une redécouverte. Vu trois fois au début de ma cinéphilie, son souvenir m’a accompagné pendant la décennie qui a précédé le revisionnage du 18 février.

Je l’avais trouvé marquant pour différentes choses que j’ai toutes retrouvées, notamment son ambiance saturée de tension de bout en bout & sa qualité de film psychologique aussi cruel que magnifique, très américanoptimiste dans le traitement & pourtant assez froid dans l’ambiance. J’avais beaucoup moins de repères il y a dix ans, ce qui prouve, au choix, la précocité de ma lucidité analytique, ou bien que l’œuvre a vraiment de quoi laisser une forte impression.

J’avais aussi perçu une rupture d’ambiance aux trois quarts du film qui m’a, pour le coup, paru totalement absente cette fois-ci : monté en un bloc, le scénario n’a de rupture que la montée dans l’avion, lequel servira de décor à toute l’histoire, sauf ses dix premières minutes & les cinq dernières.

Dans ce “tube” rempli d’humains, il y a Foster & sa fille, Marlene Lawston, qui fait bien ce qu’elle veut de sa vie mais qui aurait quand même bien mieux fait de ne pas disparaître des écrans, scrogneugneu, parce qu’elle est de ces enfants acteurs légendaires qui questionnent du haut de leurs trois pommes l’inné de l’acting. Elle va aussi disparaître du film car c’est l’intérêt de l’histoire : la mère qui panique, la pression qui monte, l’équipage qui se mobilise & la foule de passagers (à la fois distants & très présents) qui s’agite, voici posées les solides fondations d’un bon thriller psychologique.

Bon, elle n’aurait pas fait pompier.

Ce qu’on ne sait pas encore, c’est qu’il y a deux couches psychologiques, que Foster pourra assumer (& dont elle sera à même d’assurer la surprise) parce qu’on est au summum du respect démontré envers l’actrice. Elle a été comme un poisson dans l’eau dans beaucoup de rôles, mais celui-ci exploite mieux que jamais son aptitude à transmettre à la caméra son instinct de mère (expérience dejà réussie avec Little Man Tate & Panic Room) tout en lui donnant des responsabilités & une personnalité à la hauteur de son intelligence – de quoi compenser, voire justifier, une part énorme des libertés grotesques que le scénario prend par moments.

Ensuite, Sean Bean est parfait, en plus il ne meurt pas. Autre point commun avec Panic Room : la profondeur des décors, qui fonctionnent dans toutes les directions & dans toutes les dimensions. Cette formule, qu’on pourrait considérer comme “bien commode” pour des scénaristes du frisson (étant donné surtout le grotesque des reconstitutions avioniques, largement dénoncé) se trouve là encore toujours justifiée, ici par ce qu’on n’a pas encore compris, là parce que le côté humain a été suffisamment soigné pour s’interposer & imposer sa raison (quoiqu’on en exploite ici la périphérie la plus savoureuse, évidemment, & que Peter Sarsgaard ne sait pas comment le faire sans être aussi juste dans son expressivité qu’un chêne constipé).

D’ailleurs, quand je parle de “ce qu’on ne sait pas encore”, ça me fait penser rétrospectivement qu’aucune tension n’est laissée au hasard. Parfois elle recouvre ce qui deviendra seulement stressant lorsqu’on aura vu tout le film. Un peu comme s’il se basait sur un danger dont il ne nous fait saisir l’ampleur que très longtemps après – comme une rupture de ton pour l’esprit –, ce qui n’est pas son but réel mais qui représente clairement sa portée.

Je pense que c’est pour cela que, malgré les dix ans qui ont passé, Flightplan n’a jamais cessé de me fasciner & qu’aujourd’hui encore je sollicite ce jusqu’au-boutisme mental qui ne fait aucun gaspillage de l’émotion du spectateur. En tout cas, ce n’est pas grâce aux quelques minutes où Schwentke se prend pour Michael Bay avec ses deux ou trois scènes d’action ridicules & ses effets spéciaux montés bizarrement.

Flightplan part pour être un coup de cœur au long cours & de… haut vol. Sa méticulosité & son fondu au blanc final rempli d’espoir me donnent celui de l’apprécier encore dans dix ans.


6,25
4

Jeudi : Répétition d’orchestre

(Federico Fellini, 1978)

« Thématique : Federico Fellini »*

Après les longs monstres assommants qui rôdent dans la période “début de la fin” de Fellini, c’est une bouffée d’air frais que de voir Prova d’Orchestra, pourtant situé dans un auditorium exigu qui donne l’illusion d’être en sous-sol.

Ambiguïté ultime entre les genres du documentaire & de la fiction, c’est une satire musicale où les personnages, musiciens d’orchestre, répètent & se font surprendre par la “télévision”, dont c’est prétendument la caméra qui balaye la salle. Est-ce bien Fellini derrière elle ? Difficile à dire quand la parodie ajoute son grain de folie : totalement imbus d’eux-mêmes, les personnages lancent leurs avis inflexibles & politiquement hermétiques jusqu’à converger dans la voie d’un syndicalisme irraisonné où la musique perd tout son sens & dont le chef (d’orchestre) fait les mêmes frais que s’il était chef (d’entreprise). Musique, télévision, politique : un concentré dont on se déconcentre à grand-peine.

Pouet.

Fellini a surpris car il sortait une nouvelle fois de son propre genre, & il a globalement plus insupporté avec ce pamphlet qu’avec son Satyricon ou son Casanova. Il devait d’ailleurs avoir peur de ce résultat pour en venir à détruire ses propres décors à coups de boule de démolition, fil rouge mystérieux puis objet terrifiant qui vient de nulle part, s’agite comme un pendule & se met à pendouiller comme un immense “f**k it”.

Il faut dire qu’en plus de friser l’exutoire orgiaque à des frustrations déplacées, la colère de l’orchestre commençait de prendre des airs de religion avec ce crescendo (scénaristique, cette fois) qui avait été la spécialité du réalisateur longtemps auparavant. Il montre de la sorte qu’il sait tout faire sortir de terreaux divers, quoique cela fait passer Prova d’Orchestra pour une œuvre strictement destinée à son CV (qu’il n’avait plus aucun besoin d’étoffer).

Dense en métonymie (comme les musiciens sont souvent désignés par leurs instruments) & lourd de personnifications (souvent les instruments sont plus humains que leurs musiciens), il y a une figure de style dont le film est doublement pourvu : la répétition ! La loquacité de la petite œuvre n’est pas forcément bien dirigée, achevant de l’enfermer entre six cloisons pas assez poreuses pour laisser entrer le répondant nécessaire à ses piques innombrables, mais le “comique de répétition” se fera bien sentir & elle est légère malgré tout : même sa longueur (1h10) est une invitation à la prendre comme telle & c’est un atout à ne pas sous-estimer dans la filmographie de Fellini.


7,25
2,75

Vendredi : Le Tambour

(Volker Schlöndorff, 1979)

« Thématique : langue allemande »*

La jeunesse, depuis Les Désarrois de l’Élève Törless, n’a pas cessé d’être un thème de Schlöndorff. La guerre en est un autre inévitable quand on est allemand & qu’on traverse les générations : voilà sans doute pourquoi son personnage principal ne veut pas grandir.

Oskar, en effet & à l’instar de son acteur David Bennent (1m16 à 13 ans), a préféré rester dans le corps & l’esprit d’un enfant que de contempler la décroissance de son pays tiraillé de l’intérieur entre l’identité polonaise & allemande, déchiré en plus de part & d’autre sur les fronts.

“Comment ça, « ce n’est pas l’audition pour Shining » ?”

Dans des décors qui ont le même pittoresque vibrant d’un passé ressuscité que ceux de Le Dictateur de Chaplin, les figurants n’en sont pas. Car même les foules de Schlöndorff vivent entières sous sa direction d’acteurs (apparemment sans limites à la fois de qualité & de portée) qui fait monter le casting sur la corde raide – & même instable – d’une interprétation exceptionnelle, juste & datée en même temps (même pour l’époque, je veux dire).

Sur son giron artistique, Bennent, acteur d’Oskar, semble avoir saisi mieux que quiconque ce que le réalisateur s’efforçait de faire, & par bien des points, c’est même lui qui nous l’explique, en parfait faux adulte… faux enfant… bon, je ne sais pas ce qu’il est mais il est magnifiquement factice, précoce, capricieux, immature, philosophe, voix off aussi & l’écho d’une ambiance qui obéit aux ruptures (presque des saignements) de chaque nouvelle scène, si bien que, entouré qu’il est par des professionnels géniaux en matière de lyrisme détaché de tout, on finit par oublier qu’Oskar / Bennent est un enfant.

Pourtant, faire du Schlöndorff signifie toujours aller trop loin : écœurer, déranger, placer le dégoût là où on ne l’attend pas (une scène de guerre ? non : une scène de pêche ; un crime ? non, une scène d’amour), se faire interdire un peu partout pendant longtemps pour des scènes pédopornographiques (qui ne le sont pas, mais il fallait bien mettre un mot dessus), ça fait partie de sa griffe & c’est ce qui ouvre chaque nouvelle scène sur une direction “extérieure”, qui n’appartient ni à l’image ni à la narration.

Par exemple, on passe parfois d’une scène à l’autre comme à travers un tableau, par des raccourcis dans le temps comme si Oskar en était maître (franchement, c’est possible aussi : un gamin avec un tel regard est forcément capable d’invoquer des démons) & des angles frustrants qui cachent toujours “ce qu’il y a derrière”, invitant à voir ce qu’il y a plus loin que l’image. Bien sûr, Maurice Jarre ne se retient pas non plus de glisser ses anachronismes sonores, ajoutant à ces années qui passent par paquets de trois ou quatre comme un patchwork de rêves à moitié achevés d’enfance & de guerre.

Finalement, ce n’est pas tant ce que Le Tambour montre qui choque, mais ce qu’il invite à croire, car on ne peut qu’y voir pire & se dire : “meh, ce film m’a dérangé” sans pour autant que certaines scènes clés (qui viennent immédiatement à l’esprit) suffisent à totalement justifier ce sentiment. On en réchappe, souvent, par cet extérieur que Schlöndorff semble appeler dans ses images comme un gourou sur un sommet himalayan.

Le surnaturel de cet enfant pour qui les années passent comme des jours & la guerre comme un souvenir, les souffrances qu’on sent venir de loin mais qui ne s’attardent jamais, toutes ces petites fins brusques – des graines de mort – qui rendent difficile de croire au début de quoi que ce soit, finissent par rendre le visionnage absorbant & ses conséquences inquiétantes. Le film ne se regarde pas : il se souffre, & si l’on en sort pas, c’est qu’Oskar continuera de grandir dans notre esprit de spectateur perturbé, & de le faire grandir avec lui.


5,5
5,5

Samedi : White Night Wedding 

(Baltasar Kormákur, 2008)

« Thématique : langues du monde »*

L’âme scandinave au cinéma, on dirait qu’elle consiste à imaginer des problèmes… en imaginant qu’on n’en a pas. À en inventer de nouveaux qui sont en fait déjà là. C’est un peu le contraire de prendre les choses à la légère (les prendre à la lourde ?) & ça fait surgir des sentiments purs & factices à la fois.

Voilà en tout cas ce que contient White Night Wedding (tourné dans la baie de Breiðafjörður), en plus d’un taxi-tracteur, d’un prêtre qui est le sosie de Tómas Lemarquis, d’un claviériste avec une chaussure noire & d’autres curiosités cynico-rigolotes remplissant la baie de Breiðafjörður.

À la lueur du soleil de minuit qui sert de prétexte aux uns à se soûler (& perdre une chaussure) & empêche les autres de trouver le sommeil, on s’invente une nuit étriquée & l’on nage dans ces songes bizarres qui sont supposés n’avoir de sens que dans le noir. Pour Kormákur, c’est donc l’occasion de donner tous les tons à ce jour sans fin qui rend le repos presque virtuel & de composer / décomposer / recomposer son ballet de couleurs naturelles variées – tout ça en étant perdu sur sa petite île de la baie de Breiðafjörður comme Bergman sur sa Fårö.

Il n’a pas fini ses verres mais il a pris une cuite sévère.

Dans la baie de Breiðafjörður, les contrastes s’enchevêtrent. 1 = Le marasme se mêle au tourisme. L’espace d’un instant, les businessmen les plus sensibles à la devise américaine (dans le sens monétaire) deviennent l’attraction eux-mêmes, car ils ne savent plus quelle attitude adopter face à ces locuteurs de la langue du dollar ”plus nombreux que nos moutons” qui les gênent, mais qui d’un autre côté les subventionnent & leur changent un peu le quotidien. 2 = On néglige délibérément l’ennui pendant que la folie douce prospère : un mood qui ne se renie pas, surtout dans le paysage plat & sans arbres de la baie de Breiðafjörður.

Si la légèreté est longtemps assumée & constitue en fait l’essence de l’œuvre, elle se rend à force coupable d’être légère pour être légère : sans direction, elle finit par se dissiper & l’on n’a plus que la double histoire (découverte au gré de flashbacks & de flashforwards) pour se rappeler que le film n’est pas constitué que de sa forme. Cela ne suffit pas, hélas, pour faire survivre une heure & demi à une morale aussi peu profonde que la baie de Breiðafjörður, où l’incrédulité du spectateur sera entretenue, ténue, par le grain de sel & de folie qui tient le coup, & aussi grâce à tout un tas d’autoréférences amusantes où les Islandais sont une petite famille même pour le spectateur étranger.

L’impuissance joue un joli rôle aussi : cette conviction jamais tout à fait vraie que personne ne peut se blesser ni mourir tandis que la maladie & la mort rôdent entre des personnages animés essentiellement de fausses raisons d’agir comme ils le font, cela ajoute à la dissociation & nous coupe (un peu) l’envie d’être méchant.

Le claviériste retrouvera des chaussures grâce au ferry, le vaisseau de l’allié capitaliste : les Nike, symbole de victoire, chausseront le grassouillet musicien pendant qu’il mettra l’ambiance dans la cérémonie nuptiale entre la mariée grisée & le marié dégrisé. Fallait-il une heure & demi pour justifier que tout se dénoue, finalement, en un jour ? Peut-être pas, mais la richesse est là & au moins l’inéluctabilité d’un cycle de vie capricieux valait la peine d’être transmis de cette manière dont seule a le secret la baie de Breiðafjörður.


* Les barèmes montrent le ressenti et l’appréciation critique. Entre guillemets est indiquée la thématique. Plus de détails ici.

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